Textes qui tiennent debout tout seul c'est-à-dire qui se passent du visage de qui les a écrit, ce sont des vis-à-vis de mots qui miroirent des consciences de lecteurs possibles.

Autopsie d'un printemps

   La mort, mais pas n’importe quelle mort, pas la mort d’une personne qui aurait vécu son comptant d’années et serait partie avec la satisfaction d’une vie bien remplie. Non. La mort brutale, la mort violente.
   Je l’ai croisé trois jours avant, le dimanche soir, devant la gare. Nous avons échangé une poignée de main, des nouvelles de la famille. J’hésite beaucoup à raconter. Je ne sais pas comment le faire, encore moins si je dois, ou s’il vaudrait mieux ne pas. Je ne sais pas. Je n’écris pas ici pour rendre justice ni pour faire mémoire. J’écris des morceaux, ou plutôt des moments. Je crois qu’il me sera impossible de faire comprendre ce que je ressens. J’ai envie d’essayer pourtant. Peut-être que seules les personnes qui ont vécu ces événements pourront comprendre ce que j’essaie de dire. Et celles qui se souviennent de Mike. (...)

2018-2024. Prose, A4, 28 pages.
Mots-clés: migration, racisme, violence policière, mort, enterrement, peur.

The black dog and the blue fox

A BREAKUP TALE

   When we are alone and get afraid, we find ways to behave that compensate for what our fears stop us from doing, and little by little we get used to such moves. Yet when we are with someone and get afraid, fear makes us aliment the hope that love will save us, creating confusion. Although the blue fox and the black dog knew this, at times they got confused. And fears confused began to crystallize and form symmetries, which threatened their relationship’s elasticity. They both felt at times the world getting tighter because of this, and melancholy came as a result, their fears mirroring each other. He was afraid to be too old, she was afraid to be too green. She got afraid not to be able to carry on sustained discussions, he got afraid not to be able to carry on a healthy lifestyle. Sometimes he was carried away by his feelings, which made her feel uncared for and unsecure; sometimes she was forgetting things that she said she would do, which made him feel neglected and uneasy. They felt pressured and afraid to disappoint, while at the same time hopeful and afraid to be let down. (...)

2024. Conte, A4, 6 pages.
Mots-clés: distance, symétrie, élasticité.

Avec le Collectif Jean Dutoit
Rapport pour les droits et la mobilité
des personnes noires africaines
en Suisse et en Europe

   Le Collectif Jean Dutoit est né en 2015 à Lausanne (CH) de la rencontre d’une centaine de personnes originaires d’Afrique de l’Ouest avec un groupe de citoyen·ne·s suisses. Ce rapport est basé sur leurs témoignages à tou·te·s, sur leur expérience de terrain ainsi que sur des recherches touchant aux sources institutionnelles, académiques, journalistiques et légales du phénomène migratoire. Avec un focus sur la situation des hommes migrants noirs africains en Suisse, le rapport procède à une mise en perspective critique des politiques suisses et européennes.
  Si le Collectif s’est formé dans le but de trouver un toit pour ses membres africains – ils vivaient et dormaient à la rue faute d’hébergement disponible adapté – il a été immédiatement confronté aux dimensions politiques, sociales, économiques et culturelles qui conditionnent l’existence des personnes qui migrent en Suisse et en Europe. Ses membres issus de la migration (résidents de la maison occupée par le Collectif) et ses membres suisses (qui tiennent un rôle d’interface avec la société locale) ont unis leurs efforts au cours des deux dernières années pour combattre les discriminations et les abus dont les premiers sont la cible et construire des alternatives viables.
  Ce rapport comprend trois parties qui reflètent trois grandes étapes de notre recherche : Pourquoi et comment les hommes africains qui constituent aujourd’hui le Collectif Jean Dutoit sont-ils arrivés à Lausanne ? En quoi la formation du Collectif puis ses développements sont-ils des réponses à leur précarisation et à leur blocage au sein des sociétés suisse et européennes ? Quelles sont les discriminations, les compromissions du droit, les abus et les persécutions dont ces personnes sont la cible, comment les comprendre et les combattre ? (...)

2018. Témoignages, analyses et recommandations, A4, 145 pages.
English translation by SJM.
Mots-clés: migration, racisme, violence policière, violence d'Etat, politiques suisses et européennes, asile, droits humains, précarité, drogue, bloquage.

Leaping Through the Hoop of Power

   Let us try to gather momentum. Essayons de sentir non pas le pouvoir, mais que nous sommes pouvoir. La sensation de mon nez est pouvoir. Le mouvement de ma main, and not only our agency but the agency of things and processes : le café qui monte, une plante, un bruit. Les cellules qui nous composent sont puissantes [powerful], sont des pouvoirs [powers], sont pouvoir [power] ; et lorsque nous mourons, elles continuent d’être puissantes, participant à d’autres relations, eventful, meaningful – leur poids est pouvoir, qui va peser sur la table d’une veillée funèbre ; leur décomposition est pouvoir ; leurs transformations chimiques. Considéré ainsi, [power as a word is transparent]. (...)

2017. Essai, A4, 4 pages.
Mots-clés: pouvoir, subjectivité, langage, politique.

Textes et articles écrits pour
POV paper

   Le porno mainstream produit un agencement type qui conjugue une action scénique comprenant n personnes avec une position pseudo-référentielle du spectateur comme voyeur exclusif. L'expression des corps y est la mise en acte du système ; autrement dit, l’accent est mis d’emblée sur l’expectative du spectateur à trouver quelque chose excitant. D’où cette circularité : ce qui n’est pas excitant, n’est pas du porno. Toujours appelé à jouer le tiers (exclu/inclus), le spectateur s’insère donc entre la caméra et l’image « excitante ». Que la mise en scène se donne alors comme mise en scène, comme scénario bidon, et tende ainsi vers un degré 0 de la représentation, renforce la dimension totalisante du spectacle : tout s’y présente comme immédiatement assimilable [LE RÉEL]. C’est à l’intérieur de cette coalescence que le spectateur évolue et établit des distinctions. Certaines scènes provoquent en nous une catharsis, d’autres un désir mimétique, d’autres un dégoût, etc. et nous commutons entre ces fonctions d’affect. Nous faisons ainsi l’expérience d’une forme d’activité, pour limitée qu’elle soit ; et qui se trouve renforcée du fait des technologies qui médiatisent cette expérience. Nous voici en effet d’emblée en spectateur-opérateur, qui passe au ralenti, rembobine, saute, boucle, coupe : chacun produit son propre montage. Il s’ensuit une séparation d’avec le sens comme continuité narrative (comme histoire et comme production), et son profilage comme performance, contigüe de réels conçus dans leur déconstructibilité. Nous nous pensons les producteurs du sens. À cet égard, la volonté de comprendre ce qui nous excite dans le porno est le fait de personnes qui produisent du porno — rarement seulement par le regard — et y sont aux prises avec leur propre volonté, dans une disjonction : le spectateur fait disparaître ses yeux, pour, au moment où il regarde, être toute-puissance de regarder [JOUIR]. L’on considère alors toujours que l’autre est trop ondoyant lorsqu’on fait le point, ou trop pointu lorsqu’on surfe la vague. On le fait savoir, on la fait sentir, cette insuffisance. Et le réflexe disjonctif se territorialise au travers d’un affect révélateur de cette impuissance : la honte. Dans une société où le sens de la communauté a fondamentalement changé, où l’isolement est devenu la règle plutôt que l’exception, la honte a remplacé la culpabilité au rang d’affect collectif dominant. (...)

2015-2018. Articles, récits, poésie, A4, 46 pages.
English translation by SJM.
Mots-clés: genre, sexualité, porno, VR, consentement, eros, expérimental.

Exercice de la licorne

(Où il est d'abord question de chasse,)

pas l'ordinaire partie de chasse des nobles, mais
une incursion dans la psyché collective, à faire le sang opaque.

L'appeler une "quête" serait un contre-sens.
Quête est la recherche d’un pouvoir dont les épreuves assurent le mérite.
La chasse à la licorne, par son objet qui est possession de la corne, par sa technique qui est tromperie, mensonge, déception, est une anti-quête ; c’est-à-dire aussi la quête temporelle, vulgaire par excellence,

au sens où l’on dit que le pouvoir des rois est temporel
et qu’une bite est vulgaire.

Pour des yeux nés au 21ème siècle, la licorne apparaît comme le fruit d’une union chimérique : entre le cheval et le narval, ou à la limite le rhinocéros.
Il n’en va pas de même au Moyen-âge. La licorne existe dans l’imaginaire de ce temps, comme elle existe dans la légende, à l’orée du réel. Des « cornes » circulent qui se vendent jusqu’à dix fois leurs poids d’or. La licorne existe, aussi réelle que les vertus attribuées à la spire blanche qui orne son front : prophylaxie, longue vie et puissance sexuelle, promises à quiconque la possède. (...)

2017. Poésie + essai, A4, 4 pages.
Mots-clés: patriarcat, symbolisme, mariage, chasse, mineur.

Qu'allons-nous faire de nous ?

   Et nous discutons. Quand soudain Gloria me pose cette question : c’est vrai que la Suisse est le deuxième pays du monde avec le plus haut taux de suicide ? Pourquoi ça ? — Je lui demande ce qu’elle en pense. Elle me dit : les gens sont peut-être seuls, mais qu’elle ne comprend pas.
  Qu’est-ce que les gens font avec leur argent ici ? Je réponds : ils améliorent leurs conditions de vie matérielle, ils voyagent, ils contractent des assurances pour leur vieillesse et leurs maladies. — Elle saisit mon impuissance à lui faire entendre les causes du problème.
  Que faire de cette incompréhension, et comment vivre, dans cette société qui d’un côté se protège de dangers invisibles, et de l’autre crée les conditions d’autant de suicides ? (...)

2016. Récit, 7 pages.
Mots-clés: migration, racisme, nihilisme.

L'intime en tant qu'ombre

Le film Tierische Liebe (1996) permet de creuser cette perspective. Nous voici dans les parages fusionnels d'hommes et de femmes qui ont quitté l'esseulement de leur relations avec leurs semblables pour former de nouvelles grégarités, exclusives, avec leurs animaux. Le film de Seidl parvient à poser le lieu d'un malaise : cette proximité inhabituelle entre humains et animaux, soupçon de zoophilie, et d'inceste (« viens voir maman »). Mais qu'est-ce qui est le plus dérangeant : la zoophilie, sur laquelle on voit depuis une quinzaine d'années, en Europe surtout, fleurir les législations, ou bien ces individus qui ont rompu leurs relations avec les autres humains ? Ou ne serait-ce pas enfin ces animaux eux-mêmes, ainsi transformés, moulés dans les désirs de leurs "compagnons" "rationnels"? Quelles sont les lignes de ce partage intime ?

2015. Articles, A4, 8 pages.
Mots-clés: lutte des classes, zoophilie, privé/public, POVpaper.

La Désharceleuse

(...) la même personne
elle que j'ai vue sur la courbure du trottoir avec ce ciel
et elle de tout à l'heure
elle qui était toi tout à l'heure lorsque tu m'as dit
ce qui s'est passé
ce qui t'est arrivé dans la rue
ce connard qui t'a fait signe et puis t'a fait chier et a voulu te suivre
comment lui répondre ;
ce n'est plus tout à fait toi maintenant parce qu'on a cherché comment
comment rejouer la scène
comment faire pour s'en sortir et pour faire sortir ;
et par ce récit et par ce qu'on a nommé ensuite « ton expérience »,
on a fait se produire les événements une deuxième fois, une troisième,
pour toujours mieux constater que les événements ne font qu'une fois
mourir leurs souffles entre nos côtes ; (...)

2014. Récit, spoken word, A4, 13 pages.
Version audio w/Ricardo Da Silva.
Mots-clés: harcélement de rue, sexisme, féminisme.

Divine intersections

#7
Dormi très tard, bookshop, où j’ai mis la main sur Ariel, l’opus poétique de Sylvia Plath où je relirai plus tard Lady Lazarus, suivi d’un redfish tacos. Nous passons chez un ami passionné de docu sur les grands criminels. Passion en catimini où les féminines brumes profitent aussi à ceux qui ont envie de croire (dans la brume: Baudelaire et Wilde appelaient ça le romantisme… doutez qu’ils en soient, por favor !!). Ami donc + pétard + nouvelles distances acquises, puis sans drame redépart, direction l’Hotel Vegas où Rachel m’a convié à une soirée Flaming Lips addicts. Rock psyché au milieu d’une assemblée de hipsters bien balancés d’acide, un superbe spécimen en chemise bouffante rose et nous part-ons sans part-iciper davantage, dire-ection cette brasserie artisanale où, Pecan Porter, c’est le nom de la bière, l’on cause puis, on va voir Charlie au Barfly sur la 2222, et ça cause : quelle est la différence entre libertarianisme américain et anarchisme européen ?
Run, you fools!

#8
Veille du nouvel-an.
Quiconque suppose un but y parvient. La question « l’ai-je atteint? » devient secondaire.

#9
(I felt very still and very empty, the way the eye of a tornado must feel, moving dully along in the middle of the surrounding hullabaloo.) --SP

2013. Notes de voyage, A4, 27 pages.
Mots-clés: Canada, USA, nexus, errance.

Ce que tu as donné est à toi

Si je veux porter plainte ? Vous vous trompez de monde, signore… Je veux dire que ce n’est pas le genre de personne contre qui l’on porte plainte. Si vous voulez la mettre hors-jeu, il n’y a qu’un seul moyen… Oui, et je vous le laisse dire d’ailleurs, moi, je ne m’occupe plus de ces choses-là… Vedete, alla mia étà
  Oui c’est bien ce que je dis : la jeunesse !… Ah, on vous avait prévenu ? Tant mieux pour vous. Moi, cela va sans doute vous paraître étrange, je lui suis plutôt reconnaissant. Et je parle de mon histoire, le reste... Au demeurant, je ne connais même pas son nom... C’est donc comme cela qu’elle s’appelle. Ou du moins, c’est le nom que vous avez… (...)

2010. Nouvelle, A4, 5 pages.
Mots-clés: trauma, amitié.

Quand ?

(...) Le jugement n’est donc plus un problème, toute la philosophie de Deleuze nous dit qu’il a précisément tout fait pour que ce ne soit plus un problème, pour permettre une pensée qui se passe du jugement absolu, une pensée qui se donne plutôt qu’une pensée qui capte. « Œdipe, c’est comme Dieu ; le père, c’est comme Dieu ; le problème n’est résolu que lorsqu’on supprime et le problème et la solution. » Dieu, le père, le jugement, la morale, la transcendance, sont des problèmes qui se posent et se poseront encore, mais la production d’immanence vise précisément à libérer l’attention de ces points fixes, pour l’entraîner ailleurs. Et la question n’est ainsi pas tant celle de Dieu, le problème que soulève Deleuze n’est pas en soi celui du jugement, mais de ce qui se donne dans une société comme un absolu et constitue une transcendance qui assourdit les rapports entre les êtres. (...)

2010. Essai, A4, 5 pages.
Mots-clés: Deleuze, moment intensif, mort de Dieu.

Archéologie quantique
de l'art contemporain

des bruits de succion alertent l’oreille de l’Histoire,
un montage coronarien…
  THIS IS NOT A NATURAL BORDER
l’empereur tourne la main vers le sol et fouille
  mécanicien-archéologue
la pellicule s’enroule autour de son pouce et déroule des myriades
 en cliquetis de courroies, pistons
 ces voies claires, rides de la matière
en couches coagulées de poussière et peaux de rouille

on croit distinguer une petite cuillère portée à la bouche
délicate, au-dessous d’yeux bouffis par des lignes de bruit
  Studentenherzli als Geschenk
  erfreuen jedes Herz !

de dos, le buste nu d’une femme
les bras levés (vers ses cheveux ?) et, stoïque
un petit bloc de savon se détachant sur des carrelages pigmentés d’épis
  une image arrêtée…
— cela veut-il dire quelque chose ? (...)

2009. Poésie/essai, grand format (rouleau).
Mots-clés: found footage, histoire, appréciation.

Terre rouge

Quel est le nom de cet arbre aux fleurs violettes ? Oui celui-ci, d’un violet profond, intense, ces grosses fleurs qui explosent de tous leurs feux rentrés, en grappes immenses à quelques mètres du sol dans les rues de Tana… Le Jacaranda, c’est son nom, mais il n’y en a pas là où nous allons, il y en a d’autres, d’autres alors : noms des arbres, noms des ruines, noms des matériaux et noms des constructions, noms des provinces, des régions, des districts, des communes que nous traversons. Connaît-on le nombre de tout ce à quoi l’être humain a donné un nom ? Et qu’importe puisqu’ils sont sonores, sans équivoque, aucun sens caché, pas de sens à chercher, seulement quelques pépites de sons et les affects qu’ils véhiculent, à travers les accents et les prononciations. We are stones immaculated chantait Jim Morrison. D’chacaranda, avec tonique au lancé du dch et léger roulement du R.
  Maintenant la route, « route nationale 7 » ou RN7. Et son revêtement est de bonne qualité, largeur : une dizaine de mètres. Le bitume est exquis comme disait Cingria sur son vélo, j’ai un de ses bouquins dans mon sac, me dis-je… Presque deux heures de trajet sillonnant, entre questions et silences, entre mes pensées et ce que je parviens à prendre de consistance de mon environnement. Des villages ont poussé le long du bitume, quelques miettes de couleurs et de formes dans un paysage vorace, oscillant comme un estomac entre la faim et la digestion, largement déboisé et qui montre sa chair. Un doux désert… (...)

2008-2009. Blogs, proses, lettres, A4, 156 pages.
Mots-clés: Madagascar, pédagogie, politique.

Lodoronia Eskwander

Etait-ce cette langue inarrêtée de souffles qui courait à travers son nez, ses poumons, sa peau, ses nerfs, ses muscles, le tenant comme suspendu dans la consistance de l’air ? Ou bien était-ce cette production d’opacités conductrices, dont la pierre bleue de la terrasse semblait découler, comme une monstrueuse excroissance ? // Une sensibilité irréductible, débordant l’espace de son corps, résistant comme un brouillard de diamants à travers toutes les limites que les hommes considèrent être leur lot le plus commun. Une contemplation absente de sa propre masse et dont le degré de contradiction détermine la plénitude. Lui, le senseur intuitif, l’adepte des mouvements et retournements du sang, le métaïme, à peine capable de verbaliser, de faire monter jusqu’à la langue les variations du réel-constitutif — il était l’être de la grande intuition matérielle, plaquant son accord fondamental à travers le devenir, se ressentant lui-même à travers le devenir, miroir tournant // — il était de l’étroit chemin par lequel notre vie s’égraine le déploiement conscient et l’ouverture de non-sens. Toujours sur la ligne d’un effondrement limpide, doué d’une capacité à être affecté sans commune mesure, perpétuellement sous le feu d’une expressivité infinie, sa puissance était muée en abandon / est une puissance d’être abandonné au devenir. Ainsi fragile… (...)

2008. Philosophie SF, A4, 19 pages.
Mots-clés: médiateur-mentat, métaïme, marelle, antéphysique.

Le problème du jugement
et le Corps sans Organes

(...) Le moment d’identité produit-produire, le moment d’enregistrement du désir dans son retour, peut alors se produire comme événement. Le corps sans organes apparaît là comme un corps miraculant, réalisant la communion brûlante des machines-organes et du corps sans organes, productrice d’une plus-value énergétique considérable, produisant dans les cas individuels les conversions subites et les vocations et qui, à un niveau collectif, produit les foules en liesse, les paniques, les révolutions. L’événement est le haut lieu de la production d’inconscient collectif, c’est pour cela que Deleuze peut nous dire qu’« une révolution, c’est une formidable production d’inconscient » : il y a dans la révolution un point passé lequel les désirs ne sont plus repris au compte d’aucun corps plein, où l’événement peut se faire alors, sans diversion et de plein fouet, et produire des blocs d’inconscient, des dehors, comme milieux d’expérimentation qui ne dépendent plus des jugements normatifs, pour le meilleur et pour le pire. (...)

2008. Thèse de Master, A4, 134 pages.
Mots-clés: Artaud, Freud, Deleuze, Nietzsche, Spinoza.

Fragments d'une lettre-étude
expérimentale (Spinoza)

J’aimerais que tu te tiennes prévenu contre ces fièvres du temps, contre mes marées souffrantes, pour que tu les comprennes d’emblée et puisse ainsi te retirer, à l’abri de leur mouvements déchirants : mais comme si le ressac de tes yeux était seul en fin de compte à me permettre de voir le ressac de ces eaux et les dix mille coquillages ainsi révélés de mon royaume. Renverse alors, si tu le veux, ton âme sur ce spectacle et donne-moi de le comprendre, comme si c’était toi qui étais devenu aveugle, et qui enveloppais maintenant dans ton regard toute mon incompréhension.
  Qu’il me soit donné ainsi la beauté d’autres yeux me lisant à une autre saison, que j’aie au moins la beauté du monde pour me reconnaître, et les mouvements du ciel pour m’accrocher à l’idée du changement — si ratio temporis habeatur… (...)

2007. Lettre, essai, A4, 21 pages.
Mots-clés: Spinoza, éthique, rupture.

Micrologies fantômes

hécate de métal
  prothèse litigieuse d'un choix
  auquel je n'ai pas envie de croire.
  d'instant en instant, je me déplace
  je change, mais les circonstances
  dont je suis l'intime produit
  me lancent vers le ciel dans un virage
  hurlant et continu
  sur lequel il ne me souvient pas
  avoir jamais eu la moindre prise.
  est-ce oublier alors qu'il me faut ?
  oublier que j'ai un dieu
  oublier que je suis né
  qu'on m'a éduqué, comme une chose séparée.
  est-il trop tard ? ai-je encore le temps ?
  est-il seulement possible qu'un jour ... ?
   (...)

2007. Assemblage, html.
Mots-clés: restes, drogues, ghost, inorganique, aphorismes.

Ce dieu-là, ou un autre

Me brûle qui va traversant l’espace de mes chutes ; je creuse le jour de ta peau d’un hiéroglyphe balistique, tu fais naître le jour de ma peau je suis la cible, les signes, encore un temps pour dire toi, trop profond pour ne pas être aveugle, claire toi dans le jour de mon jour, qu’importe la lumière, la nuit est un vertige qui naît entre chaque seconde. Ta voix. Encore un sens pour dire, fil seul, dieu lieur, un geste pour dire séparé de l’Ungrund par une grammaire incandescente, un tracé de mutation, se laissant pénétrer par la puissance qui l’accompagne. Je ne te donnerais pas la main, ma main est un objet, je te donnerais peut-être le don de me donner des mains à te donner, mais je ne serais pas lié à toi, pas par un objet, mon amour est un objet, tu me donneras peut-être le don de te donner un amour à me donner, tant que tu n’essaies pas de m’imposer un théâtre de coulisses, donne donc ! Donne qu’importe ceux qui ne savent pas recevoir, il n’y aura pas de théâtre pour toi, il n’y aura pas de théâtre pour moi, il n’y aura de théâtre pour aucun de nous ni pour nous deux, il y a un geste et il y a un dieu, il y a la montée du temps à travers les reliefs de la parole, ma parole où se mêle un peu de ton élémentaire sauvagerie. (...)

2007. Poème en prose spatialisé, grand format (rouleau).
Mots-clés: amour, mythes, collages, petite cuillère.

saturnZyklon

Tokyo, 1917. Un ciel fauve s’insinue avec une lenteur extrême dans les pensées de Kristian Birkeland, un ciel entrevu loin de toutes les lisières focales, dans l’élancement sacré de son corps, muscles et nerfs arqués dans le temps zénithal. Ce soir-là à l’intérieur de la forme (immixtion de la fovéa dans la périphérie de l’iris), Kristian Birkeland, spécialiste des champs magnétiques et des aurores boréales, semblait très occupé, et c’est du moins ce qu’aurait vu n’importe quel serveur de cette maison de thé où il se trouve attablé, à contempler un poisson Fugu dans l’aquarium qui hante la paroi Est Nord-est, tournée vers la Norvège, avec cet arrière-fond figurant des iridescences marines stylisées s’échappant vers les montagnes déjà fortement hâlées par les rayons jaunes et violets d’un soleil cardiaque. Au-dehors, malgré la proximité imprégnatrice de l’astre (nous sommes le 14 juin 1917), malgré le bitume et les façades de pierre qui conservent la chaleur jusqu’à des heures tardives de la nuit, un courant froid galope furtivement de par les rues, faisant tinter le moment présent de ses sabots, par incises, de dimensions, rifts temporels, esclandres d’éternités diverses. De quelle couleur sont vos yeux ? Bleu COBALT, couleur divine disait Van Gogh. Kristian Birkeland pense aussitôt à un état d’apesanteur — mais tout état est une abstraction, alors que ce cheval est perceptible, agissant. Une abstraction pourrait-elle devenir agissante ? (...)

2006. Prose filée, A4, 46 pages.
Mots-clés: vieillesse, bio/nécropolitique, hystéréris, xénogenèse.

#9 pour Lada

Before the seas and mountains were brought forth, I reigned. Pureté ineffable qui pénètre cette plage de juin, le ciel d’azur, les nuages cernant l’horizon de montagnes de bure et de topaze, à d’autres pas réservées, que fortifient les retours puissants d’une guitare basse. Etreint par les éléments d’avoir combattu durant tout le jour, les masses sonores se déplaçaient en vrillant sur les corps, comme plus tard, en 2010 par exemple, ferait une tondeuse à gazon (type moteur à combustion extatique), sur le faisceau d’attention d’un homme en tout point délivré. Ici MacLachlan, 3e division britannique, sur une plage de Normandie. Son regard est comme l’épée, baptême de fer, nom d’un siècle pour ce sable, cette plage, nom d’un daïmon appris dans le geste, entré dans sa mélodie dès le premier bond sous la mitraille, qui lui fit connaître ce cercle parfait que le soleil a vitrifié sur le ventre à marée basse. (...)

2006. Prose filée, A4, 10 pages.
Mots-clés: guerre, musique, mémoire.

Je lis en toi comme dans un livre
ouvert

C’est très étrange d’ailleurs : ce chemin, celui de la pluie, les graviers qui tombent sur elle, obliques, ondulent et pétillent les branches et les feuilles roulées dans leur croissance, à dériver des lenteurs font des ombres de phasme sur le ciel. Les cheveux défaits d’une Perséphone qui court en remontant de terre et s’encouble dans les équinoxes, sont le signe d’une vie qui n’a pas encore été dite. Le chemin mène à une bibliothèque, mais ce n’est pas le chemin qui y mène, le chemin part et se rend dans la distance qui sépare le marcheur de son point de départ, comme si j’étais devenu vieux en l’espace d’une seule seconde. Eclats aveuglants, tranchants, ineffables. Savait-on seulement dans quelle direction, vers quel livre, sur quel carrefour se logerait bientôt l’attention passagère ? Non sans doute. C’est le printemps et on a tout oublié, pour grandir. Le seul souvenir (parce qu’il vient du bas, du ventre total en équilibre sur la terre) est ce visage et cette main qui se croisent sur l’oreille, comme pour entendre la mer. (...)

2006. Prose poétique, A4, 3 pages.
Mots-clés: da capo, bibliothèque, Héraclite, onogata.

L'insecte géométrique

1986, la Suisse introduit dans ses lois la détention en vue du refoulement des requérants d’asile dont la demande a été rejetée. Jurg Schlemenschlieb n’a pas mis de slip en allant ce jour-là au Palais fédéral, il a voté contre, par principe, et dans l’ascenseur qui le ramenait au 7e étage de son immeuble de Zürich, il fixa son attention sur une sorte de mouche qui volait en se cognant contre des murs invisibles dans un espace plus restreint que celui de la cage en plaqué hêtre et faux velours gris. Tout le problème réside d’après lui dans la classification de ces mouvements : à gauche, à droite, en haut, en bas, vecteurs en centimètres/seconde, mais alors il faut avoir un point de référence, un plan de référence où commencer in medias res à constituer la carte de ces mouvements se dit-il, et se rend compte immédiatement que ce plan alors vient d’apparaître. Or Jurg se trouvait deux jours auparavant en France, et il avait, dans un moment d’une équivocité très particulière, tenté sa chance au loto ; comme ce jour-là était jour de tirage, il eu sur l’heure le résultat : 03-22-23-38-39-48 et 29, c’était l’échec. (...)

2006. Prose filée, A4, 5 pages.
Mots-clés: chasse, Suisse, Antigone, travail du sexe, migration.

Mitsugané
ou la théorie du jeu parfait

Mais si je raisonne un peu, je remarque :
   a) que la matera prima — matière fantôme, en tant qu’elle est pure parescence, toujours-entrain-de-devenir-autre — interprète mon fait de l’interpréter ; en effet mon propre acte est compris en elle, il est une composante de sa multiplicité-forme en tant que matière-pensée, et à travers celle-ci inversé, extasié, de la multiplicité-indiscernable ou multiple pur, matière réelle-fictive du changement, matière d’interprétation ;
   b) si nous nous avançons un peu plus, voilà que la matière dans laquelle se trouve faite non seulement ce concept et son plan, mais celui qui le pense, sont tout de matière fantôme, et que c’est donc cette matière qui me traversant comme une clé étrange ouvre à la construction d’elle-même, se construit elle-même dans cette danse cyclique d’extases en extases ; et cependant elle n’existe jamais qu’entrain-de-se-constituer dans ce qui la pense, qui la vit, l’étreint, dans tout ce qui dort en elle, lové dans son hasard transparent ; deux aspects se dégagent alors, le premier celui d’une régression à l’infini de cette matière qui se créé cette matière qui se créé cette matière… le second, par la création des formes qui la transposent, de dehors en dehors toujours plus lointains, celui d’une acquisition de dimensions, a priori sans fin, d’une élévation à la énième puissance ;
   c) la création de cette stase va-t-elle de pair avec une constance de cette matière, ce n’est bien sûr pas le cas, il n’y a pas de même a priori, et non plus dans la régression infinie qui n’est qu’un aspect suspendu de la stase et n’existe pas sans l’aspect d’inclination inverse de cette stase ; il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à prendre le concept pour la réalité sans prendre en compte la réalité du concept ; or la dynamique propre à la matière métamorphe étant celle d’un toujours-entrain-de-devenir-autre, il faut, bien au contraire de regarder ainsi le monde au travers de lunettes qui d’une réalité rendraient irréfragable la lumière fictionnelle, devenir soi-même la clé transductrice par laquelle cette matière deviendra ce qu’elle est. (...)

2006. Essai philosophique, A4, 30 pages.
Mots-clés: nihilisme extatique, multiplicité-forme, matière-fantôme.

Paysage de la suspicion

Ce n’est pas le fossé tant décrié entre intellectuels et gens du peuple — un tel fossé est l’un des nombreux voiles jetés sur l’instinct de confusion qui règne aujourd’hui, instinct brillant et mouillé de se perdre. Ce qui fait la spécificité de ce paysage, dans le sens de la fracture : non pas entre une élite et un peuple, mais, à l’intérieur et au travers de ces groupes, dans des coupes aux zones d’indiscernabilité épileptiques : ENTRE CEUX QUI PARLENT ET CEUX QUI REFUSENT DE PARLER.
 Avis aux malentendants.
 "Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous !", "Alors je dira rien", ou bien je le dirai de manière à ce que personne ne me comprenne. Que ce soit le paysan naïf de Lewis Carroll (dans Sylvie et Bruno) ou Antonin Artaud, mais aussi la poésie concrète ou les jargons de spécialistes, il s’agit toujours de se tenir dans le passage, de bouger entre les strates, avec pour seule fin de ne pas se laisser happer par un système de jugement quel qu’il soit. Hide and seek, missiles à tête chercheuse, cryptographie, course à l’identité. (...)

2005. Essai, A4, 21 pages.
Mots-clés: société de contrôle, société liquide, nihilisme, masse, fission.

L'enclume des forces

Je te regardais ainsi, et le soleil remontait déjà les cours, quittait les bassins, quittait les dernières et étonnantes perspectives du jour, quand, et les joues fraîchies par un vent soudain, tu ris à te voir ainsi déambuler, comme entre les deux paragraphes d’un texte, sans doute inachevé.
 Tu marchais dans le crépuscule, et les choses autour de toi pétillaient d’une flamme douce, douce comme les yeux de l’aimée vers qui tu marchais, laissant à une fleur de jaillir sous chacun de tes pas. Qu’y avait-il dans l’air de si étrangement familier ? Dans ta poitrine, cette chaleur vibrante, comme si ta vie toute entière se jetait sur toi, masse d’étincelles sur l’enclume des forces, te déchirant — et dans cette déchirure ne te laissait pas déchiré.
 Les étoiles commencèrent d’ouvrir leurs portails dorés, et la lune bientôt s’éleva dans un cortège de photophores. Des mots te vinrent. Lesquels ? Des paroles surprises, que deux amoureux auraient pu lire dans les yeux l’un de l’autre, ou bien ce poète anglais les lut jadis, sur le front de celui qui porte la flamme : « tout ce qu’il est possible de croire est un miroir de vérité ». Oh tu t’es mis à parler ! Tu chantais presque...
 Tu as cru à tout (...)

2004-2005. Prose mystique, A4, 35 pages.
Mots-clés: ésotérisme, daemon, angoisse, collages.

Alchimie de la Soupe

Courant d’une extraordinaire vigueur, il me transportait sur une mer de sang lourde d’avenir, des flots mugissants, gonflés, habités de filins, de roches en défection, sur lesquels ma barque faite d’un bois étranger comprenait à peine sa stabilité.
  Cette mer, je la nommais soupe, car en elle vivotaient des grumeaux perfectibles, des traces du vivant en pleine digestion d’elles-mêmes. Des cordes épanouies, des faisceaux de racines et de cris, atomes décomposés, échelles, scories, ternes et lugubres, l’ignorance et la connaissance bouillonnant pêle-mêle dans la grande marmite de la célérité en accélération du changement.
  Ce flot rouge traversé de rayons, était le passage, terrible et magnifique, entre deux âges ; entre un cycle achevé et retombé, et un autre, encore inconnu, qui allait commencer.
  Et cette digestion je la nommais alchimie.
      Alchimie de la soupe. (...)

2003. Petite prose mystique, A4, 10 pages.
Mots-clés: tarot, ésotérisme.

La Rose et l'échiquier

Ce rêve aquatique où tu m’es perdue, ton efflorescence, ô rose, cette lagune mystérieuse qui accueille l’étoile dans la nef du bleu…
  Tout traverse en mon âme quand je te vois, danse des mots assujettis au silence, écueil sur ma voix, palpitation creuse et sans visage qui nage de ses ailes larges à l’intérieur de toute chose : ce regard qui jaillit d’une source profonde.
  Une messe de toujours règne en moi et je me demande encore pourquoi je reste muet.

2002. Poème mystique, A4, 15 pages.
Mots-clés: panique, crise, ésotérisme, foi.