fragments de ce jour ou à peu près

La fatigue qui se lit sur tant de visages naît de cet entre-soi de contraintes et de hasards où chacune et chacun se démène pour trouver l'ouverture, toujours momentanée, où la conscience peut éclore — conscience est à vrai dire le nom de cette éclosion.

Imagine la situation suivante , dit Wittgenstein.

Oui, imagine !

Date: 05.06.2025.

Dans le train pour Milan avec Wittgenstein. Drôles de vacances. Une semaine à bosser encore pour l'école, faire des choses utiles et perdre mon temps à comprendre comment tirer au mieux parti des IA — avec parfois quelques très bons résultats tout de même, notamment sur les liens entre image logique et procédés littéraires. Mais en fait, GPT40 rebondit surtout sur mes intuitions, et tout d'un coup une formulation qui fait bingo.

Echo à ce qu'écrivait Wittgenstein à Ficker en novembre 1919, dans sa lettre accompagnant le manuscrit du Tractatus :  Je souhaitais écrire que mon ouvrage comportait deux parties, celle qui est ici, et tout ce que je n'ai pas écrit. Et c'est précisément cette seconde partie la plus importante. Car l'Ethique se trouve délimitée du dedans en quelque sorte, par mon livre, et je suis convaincu que, à strictement parler, elle peut être délimitée seulement de la sorte.

Date: 22.04.2025.

Rêve. — Équinoxe. Sentiment de chaos dressé, un monolithe de disruptions et de divine candeur.

Cette nuit j'ai rêvé des élèves de S4 m'accueillant en classe par un étrange récital : un chant inuit fait de spoken word poetry, de cris de chasseurs et d'animaux, de morceaux chantés en canon vers le vaste paysage par-delà les fenêtres : de soleil et de neige éclatante. Quelle joie dans cet échange avec la Terre et tout ce qui nous entourait alors ! Quelle fraîcheur, et quelle joyeuse animosité !

Date: 21.03.2025.

Ce matin Israël a bombardé Gaza, plus de 200 400 morts — pour quiconque n'avait pas compris que ce cessez-le-feu n'avait jamais eu le goût de la paix et que l'intention génocidaire demeure intacte.

Date: 18.03.2025.

La nouvelle lune fut le théâtre d'autres remous : la visite de Zelensky à la Maison blanche vendredi, le bureau oval, siège du pouvoir impérialiste américain devenu le théâtre d'un piège visant l'humiliation du président ukrainien et la capitulation de l'Ukraine. Cela ne s'est pas passé exactement comme Trump s'y attendait. Dire aussi la colère face à l'absence de l'hospitalité la plus élémentaire et de la décence la plus basique. Ces gens-là ne se satisfont pas d'avoir des vassaux, ils veulent aussi qu'on fasse montre de soumission...

Tout le week-end, débats, émissions, réunions de dirigeant-es européen-nes, embuscades et prospectives tous azimuts.

Vendredi encore, vendredi soir, M*** m'écrit que le frère de R*** — son ami mort en 2022 sur le front en Ukraine — le frère de R*** est mort à son tour, tué par les troupes russes. Hier dimanche, M*** me dit que leur grand-mère à tous deux vient de décéder. Elle n'a pas supporté.

Date: 03.03.2025.

Hier, trois ans de guerre en Ukraine. Victoire de F. Merz aux élections allemandes, et aujourd'hui l'invitation lancée à B. Netanyahou de venir en Allemagne sans avoir à craindre d'être arrêté.

Dans nos échanges avec N***, parlant du fossé qui s'aggrandit entre les plus riches et tous les autres, j'ai écrit : c'est bien la stratégie : augmenter le fossé pour augmenter la fascisation de la société, et ainsi créer les conditions d'un capitalisme toujours plus prédateur dans un cycle autodestructeur qui n'aura finalement que la mort pour objet.

Mais rien n'a jamais seulement la mort pour objet, ou du moins, rien ne me permet de l'affirmer.

Date: 25.02.2025.

Rêve. — Deux rêves la nuit dernière. Dans le premier, je me trouvais dans ce que je nommais les ARCHIVES DU CHAOS : d'immenses plasmas d'inimaginable sombreur s'interpénétraient et se mêlaient les uns aux autres, ce dont j'étais témoin par les peaux de lumière noire qui manifestaient momentanément leurs mouvantes puissances. Je me suis réveillé avec cette phrase en tête : la tentation du peut-être vrai de la couronne — d'un deuxième rêve dans lequel s'est déroulée la scène suivante.

J'étais "chez moi" dans un lieu qui semblait un atelier à moitié abandonné, presque une ruine, couverte des poussières de la guerre. Ce lieu était à la fois une ancienne librairie — en tous cas s'y trouvaient tous mes livres. J'étais avec E***, et je lui disais vouloir tous les lui céder. Mais il hésite. Quelqu'un vient en effet de lui proposer de reprendre toute une bibliothèque et il n'aura pas la place pour la prendre et toute à la fois tous mes livres. Cette autre bibliothèque m'interpelle, quelque chose brûle en son coeur — et soudain me voici désireux de troquer tous mes livres pour un seul volume de cette autre bibliothèque, un volume qui brûle et pulse au centre de mon attention. J'en aperçois la couverture, et lis : CONTE DU BARON PERCHÉ. Je sais qu'il s'agit d'un livre d'alchimie.

Date: 25.02.2025.

Delphes. — Je dors ce soir à l'hôtel Pan, après bien des péripéties (forcément !). Je n'ai ni envie de tout raconter, ni de résumer... Cependant.

Hier, dans une boutique du centre d'Athènes où, derrière des vêtements faits main sur place, au fond de cette vaste pièce, autour d'une large table, se trouvaient quatre femmes en train de mesurer, de coudre et d'essayer divers arrangements : quelle générosité et quel bonheur d'être là à ce moment, vraiment au bon endroit. J'ai longuement discuté avec Meliti, propriétaire de l'atelier-boutique, en français de vies passées et de littérature. Je suis reparti avec deux chemises et un pull, un prototype que son fils arrivé entre-temps m'a raccourci séance tenante (... le bruit des ciseaux). Une autre femme portait un pull d'un bordeau magnifique, je me souviens son regard chaleureux. D'une troisième femme, je me souviens les yeux gris et pétillants d'intelligence ; elle portait une bague et un bracelet assorti : or et cuivre mais tout ensemble et formés de pièces qu'on aurait pensé devoir appartenir à quelque mécanique d'un passé plus-que-futur.

Mais bref ! J'ai plus tard discuté avec une jeune femme qui me demandait de l'argent : amaigrie, des taches, des plaques rouges sur la peau, peut-être de l'eczema, tout comme E*** en fait lorsqu'elle ne va pas bien, lorsqu'il y a quelque chose qui ne passe pas. Est-ce à propos de cette rencontre que j'ai rêvé ce matin d'un hôpital où l'on me disait que les soins palliatifs étaient de préférence prodigués par des infirmièr-es proches de la retraite, parce qu'il y faut une capacité de comprendre et de faire avec la souffrance que les plus jeunes n'ont pas ?

Rêve à la chute d'une nuit peu profonde, car j'ai passé quelques heures encore à lire des articles sur Substack, de Timothy Snyder sur la rencontre Trump-Putin, de Nubia Assata sur l'impérialisme européen au Congo, instrumentalisant le Rwanda, et quelques autres sur les "plans de paix et de reconstruction pour Gaza" — j'appelle ça du peacewashing.

Ce matin, lever à 6h30, puis le bus pour Delphes. Je suis ici : "Le Ciel dure, et la Terre demeure. Est-ce parce qu'ils ne vivent pas pour eux-mêmes qu'ils persistent si longtemps ?" Et entre le Ciel et la Terre, l'espace comme un soufflet : "Se vidant, il ne s'épuise pas. Plus il est actionné, plus il exhale." Entre ces rocs montagneux, dans les flancs du Parnasse — et au loin la mer, et cette ville qu'on aperçoit, Itea, sur le rivage, tout au bout d'une vaste plaine couverte d'oliviers (à cette distance ils forment un moutonnement vert et on serait bien incapable de les compter). Entre ces rocs montagneux et le ciel changeant, les ruines du temple d'Apollon et ses fondations massives — car les habitants de la région savaient ses tremblements de terre — et bien sûr le théâtre. Quel lieu étonnant !

Un sanctuaire. Un oracle. Un destin.

L'omphalos tombé là où deux aigles se sont croisés, pierre tombée de la main de Zeus et indiquant le milieu du monde, le centre voilé à lui-même d'où se déploient les dix milles êtres.

Plus tard, après avoir déposé quelques affaires et m'être un brin reposé à l'hôtel Pan, j'ai découvert un chemin tout au sommet du village qui m'a entraîné à flanc de coteau parmi des buissons de sauge, quelques arbres et des rochers, jusqu'à une arrête d'où je pouvais d'un côté en contrebas apercevoir le stade construit sur l'ordre d'Hadrien au 2ème siècle, de l'autre la vaste plaine et, sur la droite, un épais nuage tout échevelé et lourd de pluie qui glissait contre le flanc de la montagne dans ma direction. Là, en contemplation, là en jeu, j'ai lu Laozi, j'ai bu la lumière du Ciel et de la Terre. Je me suis souvenu de la voix de Lady Deirdre Sky récitant la Voie. Puis suis descendu, parapluie à la main, parvenant à ne pas me casser la figure.

De ces moments où les imaginations paraissent être des évocations de possibles futurs : les imaginer les conjure.

Cette virée s'est terminée sur une terrasse abritée de la pluie, à boire un café (grec) en compagnie d'un chat brun, les yeux un peu collés, qui me fit le plaisir de m'avoir à sa table — et d'un petit chat blanc, tout jeune, tout curieux, qui trottait de-ci, de-là, à l'aventure.

Date: 18.02.2025.

Qu'est-ce qui me dérègle le coeur ?

Quand bat-il trop vite, ou peut-être trop lentement

Quand est-ce que les souffles en lui, au lieu de se mélanger harmonieusement, trépignent et empiètent l'un sur l'autre ?

Date: 17.02.2025.

Drôle d'épisode. Je prenais une photo de l'Erechteion avec, en premier plan, une traduction du chapitre 2 du Laozi ("Chacun de par le monde décrète le Beau, et voici venir le Laid / Chacun de par le monde décrète le Bon, et voici venir le Mauvais") pour l'envoyer à Emanuel, quand une femme, badge autour du cou, habits noirs et casquette enfoncée jusqu'aux sourcils, vint m'interrompre pour me dire qu'il est interdit de prendre des photos de monuments avec des livres. À ma question, elle répond qu'elle ne sait pas pourquoi que ce ce n'est pas la question, puisque cela est interdit par le ministère. Elle me demande si j'ai pris une photo, je teste le terrain et elle menace d'appeler la sécurité, alors je lui mens en disant n'avoir pas pris de photo. La discussion illustre bien le chapitre 3 : "Leur peuple ils le gardaient sans science et sans désir", et ici de toute évidence le Laozi est partial puisqu'il n'évoque pas le désir des gens d'obéir et de faire appliquer des lois qu'ils ne comprennent pas. Quoiqu'il en soit, j'ai cherché cette fameuse règle sur le net et il n'existe rien de tel — par contre : une règle existe qui interdit qu'on prenne une photo d'un être humain à côté d'une statue, pour ne pas "entacher", "corrompre" (quel mot choisir ?) l'image de cette dernière. Évidemment, aucun gardien ne penserait à interdire aux touristes de se prendre en photo à côté des Cariatides...

Date: 17.02.2025.

Rêve. — J'ai rêvé ce matin que nous étions en famille à la montagne, moyenne montagne couverte de forêt — une cabane dans les bois, nous y arrivons pour y habiter quelques jours. Et là ma mère m'appelle pour regarder à l'intérieur par une fenêtre qui donne sur la salle de bain : un castor est en train de s'y laver — — très joyeusement me faut-il ajouter !

L'eau de la baignoire se confond avec celle du ruisseau qui court entre les arbres, tandis qu'il se frotte les joues avec du savon, montrant par ce mouvement ses deux admirables dents faites pour couper des troncs et construire toutes sortes de choses (dont, comme chacun sait, des barrages).

Date: 17.02.2025.

L'avion poursuit sa descente vers Athènes, nous voici presque au seuil des nuages. Ils font de courtes lignes, des renflements, moutonnements, des écheveaux, comme si Clotho avait par inadvertance lâché son fuseau ?

Là, au milieu du ciel, sans autre raison.

Date: 16.02.2025.

Hier, tandis que je marchais dans une rue ou une autre, je fis l'exercice à moitié conscient — à moitié car c'est comme s'il "m'arriva", "me vint", comme vient une idée c'est-à-dire d'on ne sait trop où — de marcher à l'intérieur de la terre. Et oui : j'ai hésité à mettre une majuscule à "terre", d'autant qu'évidemment je ne veux pas dire que je marchais dedans la terre, ni que mes pieds auraient foulé une terre meuble, mais que j'ai marché comme enveloppé par la Terre, au sein d'un horizon mobile de lumière et de vie. Du sol autour de moi, des maisons, des arbres, des gens, et du soleil qui vivifiait tout ça, de l'air lui-même vibrant, et finalement de toute matière prise dans cette vague qu'est le mouvement du vivant, je sentais se former ce qui m'apparaissait comme une gaine, une poche clarifiée, un placenta lucide et léger — et je l'ai dit : mobile, mobile non comme une seule chose, mais dont toute la mobilité faisait l'unité.

Date: 16.02.2025.

L'autre jour, tandis que je racontais ce que sont les constellations : des points n'appartenant à un même plan que par l'effet du regard d'un ou d'une observatrice sur Terre, et donc un aplatissement, de distances si gigantesques qu'elles défient l'imagination. Nous, humains, nous projetant sur la toile du ciel nocturne (pensées, images, relations), créons ces créatures enchantées, ces enchantements sauvages, ces horizons où peut (re)commencer notre liberté.

Date: 14.02.2025.

Et tandis que dans ma tête résonnent encore les mots de cette femme rencontrée hier soir à Turin, et des gin tonics et des vodka lemon, Scorpion ascendant Scorpion lune en Scorpion, me disant : je me sens toujours supérieure à tout, et tout à la fois comme une abjection, un rebut. Quel lien entre ces extrêmes ? Et je pensais Tao, et à la question de Spinoza : "Pourquoi les êtres humains désirent-ils leur propre répression comme s'il s'agissait de leur liberté ?" — peut-être, me dis-je ce matin, pour mieux se sentir EXISTER. Précaire conscience de soi. O lovely appearance of death.

Les humains ne perçoivent pas sans enclore, n'apparaissent pas sans plier l'ouvert sur lui-même. Peut-être au moment de mourir ressentons-nous cette ouverture qui n'est plus une action, mais un donné. Quelque chose alors se déplie en disparaissant.

Date: 08.02.2025.

Lundi 3 février, de retour à la maison avec Turbine après une virée à Bussigny chez le vétérinaire. Vendredi j'étais inquiet, elle ne mangeait pas depuis deux jours, avait vômi ce jour-là, elle avait de la fièvre. Après un premier passage chez le véto, je l'ai gardée à l'intérieur tout le week-end, malgré ses protestations ! Heureusement ce soir tout va bien, et Turbine, aussitôt rentrée, est partie gambader dehors.

Dans le train pour Bussigny tout à l'heure elle frissonnait de peur. Je regardais ce monde avec ses yeux, un monde tellement vaste, bruyant, écrasant, hostile. Via ce retour à des émotions brutes je sentais comme je me rapprochais de l'échelle 1:1 des gens que je croisais, émotions qui sont en vérité nos émotions quotidiennes mais que nous traitons via notre grille mentale la plupart du temps. Toutes et tous me semblaient si vulnérables.

Les enfants toujours intrigués par ce que contenait la boîte bleue que je transportais dans mes bras, et des sourires et des questions. De quelques femmes aussi ; d'aucun homme.

L'échelle 1:1 est celle de la conscience au corps et vice versa. Avec Turbine je rencontrais - par empathie - une autre échelle 1:1 et la rapportais à la mienne, à l'échelle humaine pour soudain saisir l'échelle chat.

À notre échelle : cette grosse goutte de sang tombée sur la table de la vétérinaire, lorsqu'elle a enlevé le cathéter de la patte de Turbine — et Turbine qui comme moi à cet instant a regardé cette goutte de sang, l'étonnement d'un "ah c'est comme ça dedans ?"

On dit parfois "au niveau de" en oubliant que c'est toujours nous qui nous y rapportons. En ce sens le mot "échelle" est plus juste. Il n'y a pas de "niveau", c'est l'intellect qui stratifie, et peut-être passe à côté de la dynamique qui sans cesse tout anime.

Quelle est l'échelle de l'imaginaire ? 1:√2 ?

Date: 03.02.2025.

[Au milieu de réflexions concernant l'article "Capitalisme et génocide"] Attention à ne pas faire du Marx de manière dogmatique, ni à vouloir comme Varoufakis trop vite enterré le capitalisme. Différents modes de production coexistent : ils sont connectés pa le capitalisme qui les domine, mais de manière lâche et non-systématique. De là aussi qu'il n'existe pas de "civilisation capitaliste".

Date: 20.01.2025.

Rêve. — J'ai rêvé qu'I*** me disait que lui il habitait à la manière des mollusques, et cette parole s'accompagnait d'une vision d'huître s'accrochant aux parois de son coquillage avec un bruit de succion. Je crois que j'ai trouvé ça incroyablement cool, et comme j'ai toujours un petit complexe d'infériorité avec I*** quand on parle de choses pratiques (comme habiter) j'ai peut-être exagéré, dans ma réponse, lorsque j'ai dit : moi j'habite comme une sorte de bombe d'anniversaire remplie de graines, de fleurs et de couleurs et qui explose où que ce soit que tu la poses, où que ce soit que t'en allumes la mèche.

Date: 18.01.2025.

Rêve. — J'ai rêvé cette nuit d'une jambe d'homme, peut-être la mienne, coupée en haut de la cuisse et gisant sur le sol. À la carnation se mêlaient des feuilles mortes d'un très beau rouge sombre, comme des copeaux de sang, et par analogie en me réveillant je me suis demandé si l'on pourrait cuisiner un morceau de viande rouge avec des épluchures de pomme.

J'ai rêvé encore d'une de ces villes en pente, je montais à pied parmi les ruelles, il faisait beau, c'était le printemps et l'air fleurait bon. J'entre par la porte de service d'un restaurant, je vois les cuisines, monte un petit escalier et arrive dans une vaste salle à manger dans laquelle la lumière entre à flot par toutes ces fenêtres sur ma gauche, par lesquelles on voit une vaste terrasse et sa pergola de glycines ; au loin la mer. Des serveurs vont et viennent, et sur l'assiette emportée par l'un d'eux je vois la chose suivante : des pâtes en forme de gros cylindres, al dente et toutes fumantes, accompagnées (et comme enveloppées) par des feuilles végétales très fines et comme frites, je les sais en tous cas croustillantes (et un peu salées). Cela ressemble à du chou kale dont j'ai vu une fois qu'on pouvait faire des chips. Je demande si je peux m'asseoir sur la terrasse, avec l'intention de commander ce plat, à quoi le serveur me répond que toutes les tables sont prises ou réservées ; mais sur ces entrefaits débarque une femme américaine, petite et les cheveux bouclés, qui annonce au serveur qu'elle et sa famille doivent partir et renoncent à leur réservation. Le serveur me fait alors signe de le suivre, et ouvre la porte de la terrasse dont je franchis le seuil en me léchant les babines.

Date: 11.01.2025.

Rêve. — J'ai rêvé que j'étais avec A***, mais une A*** qui n'était pas A*** et qui avait quelque chose de mauvais. Elle peignait des personnes, des Noirs et des Blancs, sur du papier kraft. Les Noirs elle les laissait tels quels, ne traçant que le contour au crayon papier. Mais les Blancs elle prenait de la peinture blanche et les peignait en blanc. Il y avait avec nous alors une sorte d'entité, qui fit le commentaire suivant : c'est du racisme.

Date: 10.01.2025.

À chaque fois se poser la question : qu'est-ce qui relève du commerce et des investissements, de la vénalité, de la corruption, et qu'est-ce qui relève à proprement parler de l'organisation capitaliste de la société.

Il faut pouvoir identifier et isoler ces traits caractéristiques. La seule vente d'armes n'est pas un argument suffisant ; le fait que les sociétés d'armement soient quotées en bourse l'est déjà davantage ; le fait que des assurances et des fonds de pension possèdent des actions de ces sociétés l'est tout à fait.

Date: 08.01.2025.

Dans la démocratisation libérale le socialisme est utilisé contre le peuple, car le peuple s'en trouve dénaturé, on lui fait croire qu'il peut juger et parler de valeur, décider d'esthétique, tout en lui refusant tout pouvoir réel de décision et surtout tout pouvoir d'agir, si bien que sa capacité à commander avorte constamment, qu'il ne peut former d'expérience sur la base de ses jugements et fait du sur-place. La démocratisation est un succédané de souveraineté qui finit par encrasser toute réflexion et toute décision, et on aboutit à deux mondes qui vivent côte à côte mais s'ignorent, l'un vivant de l'illusion de décider, l'autre décidant de cette illusion, si bien que le corps politique ne cesse de se diviser contre lui-même.

Date: 04.01.2025.

Rêve. — J'ai rêvé d'une maison en construction devant la mer, j'y étais triste au milieu des échaffaudages car ma mère était morte et cette maison était la sienne.

J'ai rêvé que nous revenions d'une fête, plusieurs voitures s'arrêtent sur un terrain vague et J*** et moi nous éloignons pour aller rendre visite à quelqu'un. Je me perds en chemin. Je patauge dans un ruisseau entre les maisons et le ruisseau devient canal et le canal devient étang : y nagent toutes sortes de batraciens mutants le dos couverts de disques réfléchissants. Derrière moi s'approche une forme féminine d'ombre qui m'enlace. Je me libère de l'étreinte et poursuit ma route pour bientôt retrouver J*** devant une maison. S'y trouve un homme assis à côté d'une tente avec ses deux enfants, une fille et un garçon. L'homme nous explique qu'il est nomade, et nous comprenons - par l'existence de la maison - qu'il est désormais un nomade sédentaire. Le garçon ignore ce que sédentaire signifie. Je lui demande de me dire trois choses bonnes et trois choses mauvaises à propos d'habiter toujours au même endroit, et à propos de bouger sans cesse d'un lieu à l'autre.

Date: 04.01.2025.

Il n'y a pas de conscience de groupe sans décisions prises en commun et actions menées qui produisent une collectivité de l'expérience. Il n'y a pas de démocratie sans la décision de vivre et de gouverner ensemble, ni sans l'engagement renouvelé à travers chacune des actions servant ce but. Il n'y a pas d'écologie (d'écocratie ?) sans communication et collaboration avec d'autres espèces. (Sans cela, "prendre soin de la nature" équivaut seulement à utiliser la nature pour nos propres intérêts humains.)

Date: 11.12.2024.

Rêve. — Dans un rêve cette nuit j'ai vu trois blocs hiératiques, trois immenses tours de différentes teintes, une blanche, une grise, une noire, dressées à équidistance l'une de l'autre sur une vaste plaine désertique. Je ne savais dire s'il s'agissait de constructions humaines, du fruit du labeur et de l'ingéniosité d'une génération future ou depuis longtemps oubliée. Ou si elles étaient l'émergence d'une dimension étrangère, ou si elles étaient la matérialisation du désert.

Date: 10.12.2024.

Rêve. — Ils commencent d'abord par vouloir s'intégrer leurs inventions et se bardent de prothèses, mais bien vite ils croulent sous tant de poids morts enfants qui s'amusent avec des jouets, adultes qui additionnent des prouesses, accumulent des objets leur semblant rares et précieux. Mais bien vite ils croulent. C'est comme si le monde les cassait, et faisait pleuvoir sur eux, faisait pleuvoir à l'intérieur de lui-même les éléments issus de leur irrésolution : ici, ce qui s'est désintégré se rejoint au hasard, techniques, affects, destins.

Date: 09.12.2024.

Chaque image produite par une IA l'est à travers la computation d'une myriade d'images servant de référence, et la plupart n'ont rien à voir avec les instructions données par le prompt. Comme s'il fallait parcourir mille immensités d'erreurs avant de parvenir, par affinages successifs, distinctions, filtrages, à une image correspondant (plus ou moins) à la requête exprimée.

Ainsi, pour produire une image d'une chaise en bois, des images de volcans, d'enfants morts, de bactéries, d'arbres en fleurs, de manga, de médicaments, etc. sont parcourues et partiellement filtrées. Mais il en reste toujours quelque chose. L'image d'une chose désirée, rendue "belle" par ce désir, se trouve composée de mille choses laides aux yeux de ce désir, et de mille choses qui sembleraient sans lien avec ce désir, hors de propos, accidentelles.

Ce pandémonium rappelle la théorie platonicienne : l'Idée vraie est unique en ce qu'elle est bonne (comprendre véritablement quelque chose, c'est comprendre en quoi cette chose est manifestement bonne) ; mais toutes les erreurs et les ratés — ce en quoi ces idées ne sont pas cette chose manifestement bonne — existent en nombre infini.

Est-ce que les images générées par IA nous affectent dès lors également par tout ce non-vu qu'elles charient ? Un inconscient de l'image, écrasant, monstrueux, se trouverait ainsi développé et propagé sans aucune intentionnalité, saturant l'imaginaire.

Date: 05.12.2024.

Rêve. — Nous arrivons à cheval sur une vaste lande, parcourue d'embruns, un lieu en supsension entre la vie et la mort, d'un calme forcément douteux. Nous sommes trois, S***, A*** et moi, et S*** relève le caractère désespérant du lieu non sans ironie ; mais j'ai aperçu un arbre d'une beauté stupéfiante, toutes ses feuilles d'un jaune lumineux comme d'un éternel automne, et toute sa couronne penchée ou comme soufflée vers la droite alors même qu'il n'y a pas une once de vent. Non loin de cet arbre, je descends de cheval, et me penche vers la terre. J'en extrait une plaque semi-transparente à l'intérieur de laquelle se trouve un corps, comme si j'avais déterré un cercueil. Je le prends sous le bras, remontant à cheval — c'est le corps de "ma cousine", lieu de parenté peu clair et néanmoins évident. Pour quoi en faire, je ne sais pas ; quoiqu'il en soit pour ne pas le laisser là. Inutile de rester une minute de plus : ayant trouvé ce pour quoi nous sommes venues, nous repartons toutes trois (et quatre).

Date: 04.12.2024.

En astrologie, les planètes offrent une disposition matérielle dynamique de référence.

Date: 30.11.2024.

tout dominant méconnaît, mésestime le dominé qui le fait être ce qu'il est — toute domination est occultation

Date: 25.11.2024.

Comment casser le fétiche ? Libérer sa base de croyants captifs ?

S'il veut toujours plus d'êtres humains, c'est, sur la pente de son déclin, pour pouvoir toujours plus en détruire, faire ainsi la démonstration de sa force, pour s'assurer de sa force et se croire en vie.

Date: xx.09.2024.


il est des reconnaissances qui nous arrivent
  à travers tout un dévalement d'échos
nous l'attendions de quelqu'un-e
  il nous vient d'un-e autre,
  par un lien métaphorique
  une fusion permutative
le deux dans l'Un
  et le tout dans le TOUT
une identité d'énergies
  pourtant si partielle
  mais réelle, configurante
  dans l'émission et la réception
sensible surtout
  avec la peau
  et toute la poitrine

Date: xx.08.2024.

j'ai une existence de parchemin / elle se déroule et s'enroule / dans l'élan de ma main

les mots, les phrases / apparaissent au-dessus de ma tête / je les lis dans l'astral / ou, parfois, tente de décrire simplement cela : les tentatives de préhension de mon esprit

tout ce phosphore mal agil et parfois hoqueteux, ces soudaines coulées ces brusques éclats / et tout cela je l'entends si / je l'écoute / si je lâche le sujet (moi) qui s'en ferait l'auteur

si je laisse la voix du monde s'exprimer / le chant de la force / lui laissant ma voix, mes expressions, avant tout mon rythme, et : mes couleurs

Date: xx.08.2024.

Pour rester en haut de la roue, et y rester à demeure, ils annihilent quiconque serait susceptible de la faire tourner. Oligarchie blanche. Génocide. Terreur.

Date: 30.07.2024.

Après 1h de marche mes pansements au talon gauche se sont détachés, ma cloque est toute ouverte. Merde.

Mais je suis surtout en colère car, en discussion juste avant le départ, le gardien de la cabane nous dit qu'il est flic. Il était à la police de sûreté et -- je n'en suis pas sûr mais une forte intuition, une reconnaissance -- je crois que c'est lui qui m'a arrêté il y a 9 ans pour "JE PRÉFÈRE PROJETER MA PROPRE OMBRE".

Encore une boucle de bouclée ?

Mais la colère est venue quand il a dit qu'il bosse maintenant à l'Académie de police de Savatan. J'ai eu envie de vômir. Quand il est parti j'ai dit "flic de merde". Laure a dit "moi je ne généralise pas" et j'ai répondu, "moi oui, parce que j'ai l'expérience de cette police-là".

Date: 23.07.2024.

Quelques manières de défaire la souveraineté du signifiant :

1) Invertir. Partout où l’on dira « il » on comprendra « elle ».

2) Remplacer. Partout où l’on dira « jument » on comprendra « politique ».

3) Itérer. Parfois quand l’on dira « je » on comprendra « tu ». Souvent par « arbre » on comprendra « enclume ». Rarement quand l’on dira « ciel » on comprendra « carbone ».

4) Exclure. Par « nuit » on ne comprendra jamais le signifié usuel de ce mot. Par « nuit » on ne comprendra jamais ni « jour », ni « ciel étoilé », ni « divinité ». Par « nuit » on ne comprendra jamais aucun signifié connotant la verticalité.

5) Contraindre. Le mot « vertu » n’aura de sens qu’entre 12h et 14h à proximité d’un aéroport.

6) Effacer. Le mot « virage » n’aura plus aucun sens, si bien que tout commencera à tourner.

7) Dégrader. Chaque fois que l’on dira « voiture », ce qui est signifié perdra de la valeur.

8) Intensifier. Partout où l’on dira « aller » on comprendra « aller franchement ». Partout où l’on dira « dire » on comprendra « dire vraiment ». Quand on exprimera de la « peur », on la dépassera.

Date: 26.05.2024.

J'aime aller dans des endroits pour me trouver des raisons d'y être.

Date: 20.05.2024.

Mais lorsque j'écris un poème je ne suis pas un poète, je suis une lyre.

Date: 25.04.2024.


EN CE MOMENT LE CHÂTEAU DU ROI
  NE REÇOIT PAS DE VISITEURS
IL INVITE À PARDONNER
  AU SEUIL DE SA DEMEURE


(pardonner : c'est donner le don, à l'autre, de donner selon les mouvements de son coeur)

Date: 06.04.2024.


Soudain le présent.
Les sons. La lumière.
   Mes pensées.


Comme un arrière-goût de cendre et de trahison dans ma bouche, des promesses non tenues, des terres brûlées, des fleurs coupées.

Ma réponse ? Le chaos et la mer.

Date: 05.04.2024.

Je laisse toute la vie s'écouler à travers moi, afin de retrouver le lit de ma rivière.

Date: 04.04.2024.

Turin, à côté du conservatoire, une envolée de notes au piano par une fenêtre ouverte !...

Mes pensées naviguent entre passé et passé, vers le passé antérieur au passé, vers ce lieu du souvenir qui est le carrefour de ce qui n'est pas encore né et de ce qui, mort, encore une fois mort, se rassemble dans la cendre et pousse timidement plume de feu après plume de feu pour se refaire des ailes, phoenix reprendre son envol.

Toujours de la tristesse, mais l'excès de littéralité s'écoule hors de moi, avec le gin de la nuit dernière et mon ventre retourné de ce matin. Il y a bien une violence propre au langage, parce que nous avons aussi un corps de langage. Et de là à l'idée que nous nous faisons de nos propres actions. De comment nous les élevons ensuite au ciel de notre activité symbolique, oubliant que tout revient toujours à la terre ? N'oublie pas, donc, qu'à elle seule tu te dois d'être fidèle.

Comme Toni Morrison l'a écrit : "Nous faisons le langage. C'est peut-être là la mesure de nos vies."

Date: 04.04.2024.

Écrit il y a quelques semaines, après une relecture de La Société du spectacle : "Plus la technique de reproduction/représentation du réel est élaborée, plus elle gagne en force du côté de la mimésis, et plus elle est faible dans sa réalité propre -- car son unique valeur devient alors la reproduction d'un signe et elle ne fait plus signe d'elle-même. En ceci, il est plus facile de lui résister, car son inauthenticité est plus flagrante -- du moins une fois qu'on l'a saisie comme telle. Le règne du littéral est le plus mensonger et le plus faible, car il veut ramener toutes les dimensions à une seule. À l'inverse, le plus riche est le plus prodigue en potentialités d'interprétation, ainsi également en ambiguïtés."

Date: 01.04.2024.

Ai rêvé d'une ville d'un pays anéanti par une congrégation de bombes atomiques -- la destruction, totale, mais, à la scène suivante je me retrouve avec d'autres personnes dans un musée, écoutant une guide nous parler de l'oeuvre d'art qui en a résulté : il s'agit d'un ensemble de disques de coton, du genre de ceux qu'on utilise pour se démaquiller, un ensemble de 50cm sur 50cm, sous une cloche de verre. Les disques de cotons sont enfilés sur des tiges de métal. Certains semblent durs, comme de la porcelaine. Certains ont des aspérités, et quelques petites touches de couleur sur leur bord, du rouge et du bleu (primaires). La guide nous montre cela et nous avons le sentiment que ce "reste" est d'une immense valeur, non seulement pour ce qu'il symbolise, mais pour ce qu'il rend possible.

Date: 28.03.2024.

Mots attrapés au vol fixés au hasard de feuilles volant dans les nerfs les souffles la lumière filant vers des lointains qui confinent à l’oubli et qui se peuvent à leur tour devenir hasard : signifiant, s’afficher ici faire signe là ou même revenir : à l’esprit, comme on revient d’entre les morts, car sont-ils autre chose que lumière plus lointaine paraissant à travers chaque millimètre contemporain, laissé libre à nous de connaître, d’entre les biais et les fins où notre fureur les enchaîne ?

Fragments circadiens, c’est-à-dire fragments de ce jour ou à peu près.

Des cahiers griffonnés d’incarnations, des carnets de toutes tailles couverts de signes, des billets accrochés à des livres, des fichiers Word ou OpenOffice, des notes sur smartphone, des posts sur les réseaux sociaux, des tirades publiées sur des blogs happés entre-temps par l’obsolescence programmée, et tout cela – écoutez-bien – sans ordre ni intention.

Non, non, ce ne sont pas les Annales Akashiques de Mathias Clivaz, plutôt ce que des cure-dents ont pu retrouver dans sa bouche d’aliments et de prières. Je crache de travers, et si vous avez l’impression que j’écris droit ce n’est qu’une illusion.

J’adresse toutes ces phrases cryptophaniques à quelque archéologue givré, sirotant un Mithra on the rocks un soir au crépuscule sur son fauteuil à bascule devisant du monde de là-bas d’il y a très longtemps, dans une douce déflagration d’épices et de fumées, de lumière et de sang.

Vous êtes tout ce que ces textes peuvent être à présent.

Date: 25.02.2024.

Récit d’un coup de poing dans la gueule

Le samedi 3 février 2024, à 11h40 du matin, un objet volant non identifié m’a percuté la mâchoire avec une vitesse approximative de 50 km/h. C’est à l’exposé analogique de ce fait que ce récit est consacré. Non qu’il en faille chercher l’explication à tout prix, mais l’ensemble sémantico-cosmique qui y aurait présidé selon toute probabilité mérite amplement le bref examen auquel je me livre ici.

Evénement karmique – j’entends ce mot précisément à la manière vague dans laquelle en Europe on comprend généralement ce terme, à savoir comme une inflexion des événements « extérieurs » répondant à un état de disponibilité immanent – événement karmique donc s’il en est, ce coup de poing m’a fait passer tout l’après-midi aux urgences. Mais qu’on se rassure : je vais bien, et même (c’est là tout l’intérêt de la chose) peut-être même mieux qu’avant.

Mais reprenons.

Date: 09.02.2024.

Parler, c'est inventer un schisme.

Date: xx.xx.2023.

Il s’agit de trouver la pensée qui sera l’être, la pensée qui tourne de l'intérieur autour de l’être, la pensée qui croît au plus près de sa genèse, le pensée lovée dans le futur, l’aimant de tout ce qu’elle est.

Date: xx.xx.2023.

tes entrailles se lisent sur ton visage
et l’haruspice du ciel à chaque instant
te prédit, parce que tu oses
lever ton visage vers lui
et offrir ta liberté en pâture aux étoiles
où tout peut tout signifier

Date: xx.08.2023.

il n’est pas facile d’ignorer les dieux

il faudrait pour cela écrire une Ode à la haine
une vitupération idéaliste et conscientieuse
pleine d’itérations absconses
à la Heidegger, bref
une vraie suite bergamasque
un encens mi-figue mi-tragique
des subterfuges sublunaires
et des trognes écorchées
ouvrant le bal
des
défigurations
extatiques
d’escampe
et de métaux
sotériologiques.

Date: xx.01.2023.

Et si l’angoisse était de viser (au sens sartrien) ce qui n’existe pas ? Un vacillement de la conscience, détachée du réel, abstraite, ne s’appliquant à rien qu’elle-même. L’ontologie d’un solipsisme. Et s’obstinant, et dans son inquiétude de ne toujours rien trouver – qu’elle-même, autotélique – redoublant d’obstination. Et voici l’angoisse.

Date: 03.09.2022.

Lorsqu’on écrit à quelqu’un, on imagine cette personne en train de nous lire, et les mots prennent forme alors que conçus par cette lecture.

Date: 16.08.2022.

avec la souffrance, on gagne des yeux
avec les larmes, l’amitié
avec le partage, la connaissance

Date: 09.08.2022.

On dit que les oiseaux sentent un tremblement de terre bien avant nous. Qu’ils s’envolent d’un seul coup avec un cri d’inquiétude et d’alerte. C’est cette sensation que j’ai à la poitrine, nuée soudaine et vagissante, mais qui se mue en angoisse tant par mon ignorance du quand et du comment de la catastrophe, que par ma connaissance relative du quoi et du pourquoi.

Date: 22.05.2022.

Il y a un cheveu
accroché à la lampe
quelqu’un a dû s’y prendre
la tête ?
en passant sans faire attention
peut-être cette personne
– ou était-ce une bête, un fauve ? –
ne s’en est-elle-même pas
rendue
compte

Date: 29.03.2022.

Si le monde en notre perception n’est pas modifié par chacune de nos humeurs, c’est aussi que tout le perçu en sa propre nature se veut soi-même et n’a jamais été ordonné notre serviteur. Certes, qu’il ne soit pas un rêve reste une faible preuve de l’existence du monde ; et cette existence ne peut être prononcée plus stable, plus « objective » et durable que ne peut l’être la supposée totalité de « notre perception ». Cela laisse place à des accords entre natures diverses, des alliances secrètement créatrices de temps, dons de forme et de vitesse, en fait toute une génétique d’interrythmes dont l’effectuation règle en retour la perception.

La comodification – donc l’épigenèse – devrait ainsi passer du second au premier plan de notre compréhension des phénomènes.

Date: 13.11.2021.

Je compare le Scorpion à l’archer au moment de lâcher la corde. À la question « qu’est-ce qui prouve sa force ? », est-ce de pouvoir lâcher la corde, ou est-ce de pouvoir la tenir, il existe deux réponses.

De l’extérieur, c’est d’être capable de tenir la corde jusqu’au moment opportun, qui juge de l’excellence de l’archer. Mais vu de l’intérieur, c’est de lâcher la corde au bon moment qui constitue la difficulté, puisque l’archer alors seulement se confronte à son propre effort.

DLâcher trop tôt ou trop tard, il le sait, là est la faiblesse ; lâcher au bon moment seul prouve sa valeur.

DSi tenir la corde exige d’une volonté jusqu’au moment du bond, le lâcher doit survenir DANS le moment, et la volonté s’y abolir.

DTenir la corde est un acte de volonté et dans le Scorpion cet acte atteint nécessairement son point de rupture. Ainsi la faiblesse du Scorpion consiste à trop vouloir tenir, pour (se) prouver sa force, ou bien alors à lâcher HORS du moment, pour (se) prouver qu’il peut lâcher « quand il le veut ».

D(Mais c’est souvent parce qu’il a (re)tenu trop longtemps et n’est en vérité plus en mesure de tenir ; ou bien alors parce qu’il manque d’énergie et de concentration en amont, avec le même résultat.)

Date: 12.11.2021.

où – où appliquer sa volonté
où poser les doigts
sur le bois de l’arc, le long de la corde
corde – comment appuyer contre soi
la structure de la lyre, les bras
de nos transformations

Date: 10.11.2021.

Que veut dire « jusqu’à ce que la mort nous sépare » ? Les âmes qui s’aiment cessent-elles jamais de s’aimer ? Car qu’est-ce qu’une âme sinon une puissance d’aimer – et exister, le lieu de tout corps qui l’effectue.

Date: xx.10.2021.

dimanche, la petite chatte avec qui je vis est partie
– elle n’y est plus, bien que je l’entende
parfois courir sur le toit passer le velux sauter sur le lino
et croie, du coin de l’œil la voir, du coin du cœur.
est-ce que ce ne sont pas ses dents que j’entends croquer dans le noir
ne va-t-elle pas avoir peur à cause de l’orage

dimanche, le couple qui passe ses journées en bas de chez moi est parti,
Marichka, Basil, ils me le disent vendredi, samedi je vais leur souhaiter bon voyage.
comme toujours Marichka me recommande à Dieu, et Basil me tend la main
cette poignée de main… sa peau par l’eczéma rendue rugueuse, sa force, sa chaleur.
aujourd’hui sur le banc, là où ils ont l’habitude de s’asseoir, flotte ce présent que j’utilise
parce que le passé simple est stupide et l’imparfait menteur.
à l’heure qu’il est, ils sont sans doute arrivés en Roumanie – chez eux
je me demande si j’y suis

dimanche, j’essaie de me situer dans ma baignoire
la tête immergée je presse mes doigts contre les os de ma mâchoire, et j’écoute
avec ma peau, ces résonances dans mon petit crâne d’humain.
ces espaces creux, d’où ma chair me compose un visage,
mes doigts fripés de vieillard de nouveau-né ne peuvent pas les toucher.
mon crâne est un très ancien coquillage : memento mare
peux-tu entendre la mer, si tu mets ton oreille contre la mienne

dimanche, Frank m’écrit, veut me voir, on dit lundi, cinq heure, même lieu
que la dernière fois. Frank est sorti de prison il y a 2 semaines
il y est resté 8 mois, parce qu’ils l’ont dit sans lieu lui ont retiré toute puissance de faire lieu
en exerçant sur lui la leur, de séparer le corps d’avec l’esprit.
ils l’ont sorti de la prison de la Croisée à Orbe, transféré à Genève, par avion à Madrid.
une semaine plus tard malgré leur « interdiction de territoire », il est là
à Lausanne et je l’y vois, jeudi dernier dans ce parc, où tout le monde a l’air si gentil –
et aujourd’hui je vais le voir en ce même lieu, mais il n’y est pas
à cinq heure, cinq heure quinze, j’attends
il ne vient pas, ne répond pas au téléphone et je pense, bâtards, bâtards.
deux heures plus tard il m’appelle
il s’était endormi

dimanche s’attarde, c’est pourtant les vacances, et mardi mes étudiants
commencent leurs examens, alors j’y vais.
au palais de Beaulieu il est 8h du matin et les voici cohorte effervescente
je les encourage, les ancre, je leur fait monter la rage au bord des dents
parce qu’on ne peut pas dans ce monde ne pas mordre, et surtout les mots
à défaut de pouvoir mordre les experts, si bien abrité derrière leurs stylos rouges
avec lesquels ils saignent le papier pour en exclure la faute – originelle
celle de vouloir former sa propre langue avec la vie.
nul examen ne décidera de qui vous êtes, Liraz, Dario, Chloé, Stasa, Tom et Lucas
Emilie, Tristan, Caroline, Kieron, Antoine, Diane, Margaux, Tuana, Maria Gloria, Imogen, Daniil et vous tous dont j’oublierai les noms.
n’est-ce pas un acte de libération

dimanche, lundi, mardi, seul après tout, je pense à « y »
un vrai y grec celui-là haha, ti estin aletheia
entre mes quatre murs mes quarante cartons
mes quatre directions : trouver, jeter, chercher, garder…
à l’Est de être, là où l’esprit commence.
à l’Ouest de être, où le chemin bifurque.
au Nord, au Sud, là où le corps finit, où l’éternité s’en fout.
combien de kilomètres avant que le soleil ne retrouve son ombre
avant que l’espace d’y être rencontre l’y être de l’espace
Charon entre deux rives dont la rame est un
grand point d’interrogation

ce n’est pas un jour
ce n’est pas un lieu, peut-être une ambiance, un milieu –
c’est une nuit de grand vent
une mèche de cheveux dans un cahier
ce sont Frank, Marichka, Basil et les autres
et une petite chatte dont les yeux brillent quelque part dans le noir

il me semble que tout ce soir en s’endormant s’ensauvage

Date: 19.08.2021. Extrait de "Y".

Florence. La ville valse entre souvenir du confinement et retour des touristes. Ici, le passé – peut-être parce qu’il semble à chaque instant à portée de main – est plus fantomatique que nulle part ailleurs. Un drapé qui se glisse incessamment derrière toutes choses, le diaphane d’un corps éternel, d’un nu dont la peau aurait résorbé la chair et les organes, pour ne plus exister qu’à la manière d’un cristal fluide tourbillonnant entre les roches diverses du temps.

Date: 03.07.2020.

à Jacques Roman

Moi aussi un mot est venu frapper à la porte. Ou plutôt non, pas à la porte, pas de porte qui vaille pour ce mot. Pas de porte mais un mot qui veut toute la place parce qu’il y a de la place à prendre, d’habitude il y en a peu, ou alors il y en a mais il faut la prendre et ce n’est pas un mot qui aime prendre.

Non, si ce mot veut toute la place c’est précisément parce qu’il est l’imminence de tant d’autres, de tant de volontés de prendre et de tout ce qui s’ensuivra de guenilles de rois crevés de tyrans aux yeux aqueux et noirs que la torche du mot va faire flamber avec toute la peur.

Guenilles de rois gueules de mirages, je m’en vais marcher dans ces tourbières mentales où l’on fait plotch plotch plotch avec de l’eau jusqu’aux chevilles, avec les orteils qui vrillent et la plante des pieds qui s’énerve. Je m’en vais marcher dans le règne du littéral, accompagné du mot : imagination.

Tout ce qui se présente et prend force de loi n’est pas nécessité. Il se peut que ce ne soient que signes tracés sur la terre. Il se peut que nihiliste cesse un jour d’être une insulte… La littéralité a asséché ce qu’elle a pu : des marécages, des rivières, des lacs entiers ; le langage ; le présent. Mais non l’humidité des confins,

où l’on se sait voisin de tout. Moins humain sans doute, moins de ce règne, puisque nous voyons alors par l’œil du corps, par la paupière de cette matière intime d’entre laquelle glisse aussi le sommeil.

Pour qui se prend au jeu nul besoin de se prendre au mot.

C’est ainsi que la fameuse phrase de Marx vient éclairer la répétition, celle de la société de consommation, de l’orgasme contrôlé de la société capitaliste, quand, pour remercier le « personnel soignant », les gens des villes applaudissent tous les soirs à 21h : d’abord comme tragédie, et bientôt, comme farce.

Frais assassins marchant sur la cape d’un faux dieu, révélant la vérité du pléonasme humain : cerveau dans un bocal dont on remarque le poil au cul d’autant mieux que sa pilosité se fait rare et que ses yeux prétentieux ont émergé de la bête dans les entrailles de laquelle il croit voir – son futur !

Stupide bouche rivée au jugement, chaque seconde est une sentence, chaque heure une définition. Glissées dans une enveloppe comme billets de banque pour corrompre la mort.

D’œuvre de bête en étale d’ange, défigurant la vie dont les nombres nous coulent entre les doigts comme salive de sable.

Date: 05.04.2020.

Les sociétés occidentales attachent une valeur quasi sacrée à la vie, mais la vie humaine en particulier et plus que tout autre (spécisme), et certaines vies humaines plus que d'autres (...). Cette valorisation est-elle le symptôme qu’on ne sait plus à quoi donner de la valeur ? « La vie » agirait comme une valeur refuge en temps de nihilisme. Cependant, d’une part, le maintien de la vie humaine a une valeur marchande : pour l’industrie pharmaceutique, pour les assurances, pour le système de la santé dans son ensemble. D’autre part, plus vous valorisez une chose, plus vous accroissez la peur de la perdre…

Date: 19.01.2020.

Une personne au volant d'une voiture roule sur une autoroute, les paysages changent, bientôt la voici au milieu d'un désert. Là, soudain, l'autoroute s'arrête. Non qu'il y ait une autre route qui prenne le relais, mais l'autoroute s'arrête et avec elle toute voie carrossable. A la fin de l'autoroute, il y a un vaste terre-plein, en manière de parking. Au-delà, c'est une steppe sèche à perte de vue de tous les côtés. Sur le parking, il y a une seule voiture. La personne au volant parque sa voiture à une certaine distance de l'autre voiture. Sort de sa voiture, et commence à marcher.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

Le monde a besoin des chiens qu’on entend aboyer dans la nuit. Leurs voix fraternisent dans nos cicatrices. Le monde a besoin de nuit, et d’une nuit peuplée de chiens. Car quand ils n’aboient pas, la nuit en eux demeure et le monde vient à la fenêtre boire le lait que nous y déposons.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

Une manière d’utiliser le genre en français serait de lui faire jouer le rôle de marqueur de tonalités ; jamais aussi générales et abstraites que homme/femme ou féminin/masculin, mais au contraire branché sur la sensibilité. Le « la » plus ouvert, « le » plus définitif, formel ; un « une », et toutes les terminaisons en –e, indiquent une durée, là où le « un » montre une occurrence.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

Mimétisme autogène : prendre une position qui convient à la création d'une sensation (me sentir sexy quand je t'embrasse!)

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

La société capitaliste visant essentiellement le statu quo social, la possibilité de son renversement doit être sans cesse entretenue et vérifiée. Comme l’écrit Ernst Bloch, la bourgeoisie « fait de sa propre agonie un état apparemment fondamental » (1959) : c’est cette défaite qu’elle invite tout le monde à vérifier. De là que la transgression soit toujours à la mode dans les sociétés bourgeoises ; et rarement subversive. Vérifier n’est pas subversif, puisqu’il s’agit d’une transgression d’appartenance, confirmant l’ordre établi. Une action subversive est celle qui ne transgresse que par effet, de manière indirecte, simplement parce qu’elle institue un autre terrain et d’autres règles du jeu.

Le monde bourgeois se constitue en instituant une idée d'ordre, et construit ses lois pour protéger cette idée et l'organisation qu'elle interpelle. Dès lors, une vie qui diffère de cet ordre, à son contact va forcément franchir les limites de cet ordre ; elle apprendra à appeler ça une transgression, à y lier un sentiment de révolte, tout propice à la garder tournée de ce côté, refocalisant l'attention. Les forces de l'ordre, pas seulement celles auxquelles on pense, viendront lui dire à l'oreille, "toi tu es une de ces créatures perverses qui aiment causer leur propre malheur". Et c'est de la foutaise. Mais si leur parole est fiction, elle est réelle au degré de son agir. Alors faites taire les voix qui vous disent d'agir pour rien. Faites plier ce qui vous pèse, faites-en un cercle. Bien sûr que nous "transgressons" – c'est pour nous vivre. Et s'il y a bien quelque chose qui tue, ce sont les petites idées du monde. Les idées-cages, aux ajourements réguliers comme des coups de matraque, que nous tentons de démoder par la danse.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

L’Eglise voit toujours d’un bon œil que ses fidèles vivent un enfer. Vous n’avez même pas besoin de croire en « l’Enfer », pas besoin de dépenser de l’énergie à un effort d’imagination que la science a rendu vain, -- cette même manière de penser qui devint virale avec la formule malheureuse de Sartre « l’enfer c’est les autres » -- puisqu’on va regarder le monde être transformé en enfer, et ne rien faire pour changer cela. L’enfer, c’est ne rien faire. C’est regarder et se taire. C’est le seul enfer qui soit. L’axe de toutes les destructions.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

Il est bon parfois de répéter certaines choses, pour que de résonances multipliées, de voix alliées, le monde verse dans notre fiction. Il y a là toute une pratique du récit qui traverse tous les milieux sociaux, et toute une culture qui sous-tend cette pratique, au point que certains procédés en deviennent caricaturaux. La manière de raconter est un agent de la distinction de classe. Mais chacun raconte. Et dans son « for intérieur », il sait qu'il est en train de créer sa vie, mais qu'il a besoin d'un interlocuteur qui puisse recevoir son récit. Lorsque celui-là l'écoute, il cumule une dette envers lui, en tant qu'il s'est fait le relais du récit. Que l'on paye pour raconter sa vie à un psy renforce bien sûr cette tournure sociale ; et les riches bénéficient ainsi d'une aide à créer leur vie, aussi utile leur soit-elle. Mais de quoi l'on peut du moins conclure une chose : il vaut mieux avoir des amis qui ne prêtent à vos récits qu'une oreille distraite.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

Quand j’ai une musique dans la tête qui redonde à n’en plus finir, j’opère une dégradation de sa tessiture par ralentissement, distorsion et désarticulation, et elle meurt. Me vient à l’esprit que toutes les techniques développées pour agir au niveau structurel, cellulaire, moléculaire, atomique ou quantique, sont avant tout des instruments mentaux.

Date: ??.??.2019. Extrait de Le Protocole de la méduse.

L’excédent de son visage tourne sur les surfaces d’air qui l’étagent et la rebellent contre l’horizon, son corps structure l’espace et sa matière régit son temps : comment faire siens ses yeux, ces yeux, en percevoir les intensités afin d’en deviner les déploiements de destins, en percevoir les nécessités pour en exaucer les regards — et les saisir à vif. Eau froide, écorchure homogène, retirée comme d’un lièvre la peau envisage son excédent formel.

Date: ??.??.2018.

Nul n’a d’ennemi qu’en le sens que l’ennemi lui donne.

Date: ??.??.2018.

L’Occident déconsidère toujours les masques. Le mot latin persona, utilisé en psychologie comme au théâtre, demeure touché, dans les sociétés occidentales, par un soupçon d’insincérité. Alors qu’il s’y passe tout l’inverse : la fabrique du soi, à proprement parler son devenir. L’Occident comprend le masque comme un simulacre, un arrêt sur image, alors qu’il est au contraire une opération de plis, un apprentissage qui suit les lignes d’une physiologie, certes, mais n’est arrêté par rien, précisément parce qu’il est masque et demeure séparé de tout. À la manière dont Héraclite parle de la sagesse : «De tous ceux dont j’ai entendu le discours, aucun ne parvient à ce point : connaître que la sagesse est séparée de tout.» On ne peut pas avoir le chaud sans le froid, le plaisir sans la douleur, mais on peut avoir le vrai sans le faux, commente Marcel Conche (fragment 63). Un masque recueille cette expérience des contraires qui façonne la vie. Or cette concrescence n’est pas contraire au devenir : elle est devenir sur un autre plan, elle est devenir propre de la vérité qui n’est jamais que ce qu’elle peut. D’où sans doute le défaut de compréhension de l’Occident, dans son obsession du libre arbitre et du vouloir. Le masque est regardé de travers parce qu’il ne sanctifie pas le « je veux » humain. Mais un masque nous donne à voir justement ce que toutes les « intentions » ne parviennent jamais à saisir : à chaque fois que le masque est porté, à chaque fois qu’il est vu : sa signification change et sa valeur est réactivée. L’Occident, qui met les masques dans des musées et voue un culte à l’authentique en son unicité, les comprend comme représentation et non comme vérité.

Date: ??.??.2018.

– et l’Etat, qui n’est rien d’autre qu’un catalogue des erreurs des autres,

Date: 23.12.2018.

Je lis Le nom du monde est forêt d'Ursula Le Guin. Sa manière de créer du relief par la rencontre de différentes humanités trouve son nexus dans le mot athshéens "sha'ab", traduit par "dieu" et "traducteur".

Dieu est celui qui fait entrer un nouveau rêve dans le monde, et vice versa, un nouveau monde (ou élément du monde) dans le rêve (un espace-temps psychique collectif, partagé, où les rêveurs sont actifs, sont des opérateurs et non seulement des spectateurs).

Dieu est ce qui reconnaît (performatif) un événement dans l'un ou l'autre et assure de cet événement la coalescence avec le devenir environnant (mais en puissance d'une extension infinie, par résonance dans le rêve-monde) y compris bien sûr le(s) groupe(s) d'êtres vivants qui sont/seront pris dans ce vortex.

Elle met le doigt sur le conditionnement de l'imaginaire humain et sur une direction qu'a prise le développement humain au détriment d'autres. Là où la psychologie des profondeurs, le surréalisme, la renaissance païenne, etc. avaient tenté une ouverture, la société du spectacle et les thérapies chimiques referment les portes. Il n'y a peut-être rien de plus menaçant que cette léthargie — qui convient bien à la prolifération des idéologies cloisonnantes, au racisme, à l'envie, au ressentiment, à la peur, à la colère, à la haine, à la souffrance.

Date: 11.05.2018.

Je ne sais plus comment faire pour écrire. Je ne sais plus comment faire, comment dire. Un tel moment existe en toute activité : après avoir appris, avoir bataillé dans l’apprentissage et être parvenu à ce qu’on croit pouvoir appeler une certaine maîtrise, le sens de l’opération nous échappe. On se retrouve le cul parterre, ou, à la manière du roi de la fable, tout à fait nu, et probablement déjà un peu écorché aux encoignures, d’avoir cru que le faste d’un vêtement nous protégeait tant des regards que des piqûres d’ortie. Le premier réflexe, ou le premier rebond de ce nouveau mouvement, c’est de vouloir se frotter à tout, tel un chien en rut, c’est sauter parmi l’orchestre à la diable et s’emparer du violon pour jouer une tristezza puis sans transition imposer une toccata à tous les pianos disponibles ; bien vite, cependant, la musique lasse, et je me retrouve silencieux à écouter les cloches des chèvres et le bruit de la mer sur les rochers, les grillons. Le soleil qui me burine la peau fait lui aussi de ce son auquel je ne veux pas échapper. Le pourrais-je.

À Capoliveri, sur l’île d’Elbe, on fait dos à l’Italie. La perspective est sereine, boisée, mielleuse presque, et dans la mer on devine des formations alchimiques que seuls quelques rares géologues ont le génie de savoir nommer et peut-être décrire. Le saphir filandreux gratte secrètement sous ces paupières faciles et nous n’avons plus rien à aimer qui ne se soit déjà transformé loin de nous sous l’effet conjugué du vent marin et de l’humaine fragilité. Les vies écrasées sous le spasme de l’égoïsme des nations rejoignent celles, évidées de tout désir, qui connurent le règne de l’indécisif, du statu quo comme idée de la vie. À y regarder de plus près, on se rend compte que la conservation à l’identique sert toujours plus d’un maître, et que le confort des uns arrange les affaires des autres. D’un moment à l’autre, la valeur, non de la vie, ni surtout de sa propre vie, mais de la vie des autres, change du tout au tout. Napoléon 1er, qui séjourna sur l’île et la transforma à sa guise – à la manière dont, 150 ans plus tard, le Duce fit assécher le marais vénitien et ouvrit vers la Sérénissime un pont routier qui devait signer l’arrêt de mort de la cité – Napoléon dis-je, est le précurseur de cet alliage entre populisme, tourisme de masse et nécropolitique que Mussolini et Hitler firent entrer dans l’histoire. J’y reviendrai. Mais avant cela, il convient de parler des morts.

Hier soir, tandis que le soleil se couchait, j’étais sur le pont à zyeuter tant qu’il est possible de le faire le bleu-brun fuligineux du golfe de Piombino, au large duquel tant de cendres ont été déversées. Je dis qu’elles sont nombreuses à y avoir été versées, des cendres humaines, restes calcinés et réduits par le feu de corps humains auxquels nulle sépulture terrestre ne devait être le lot. Mais à la vérité je n’en connais que deux. Ces cendres versées dans la mer entre Piombino et Portoferraio, je n’en connais à la vérité que deux exemples, l’un pour y avoir assisté, celui de ma grand-mère, l’autre pour l’avoir lu dans je ne sais plus quel livre, celle de Jacques Mayol, le célèbre apnéiste qui vécut – et mit fin à ses jours – à Capoliveri justement. Or sans le soleil, je ne pouvais plus rien voir que ce que je ne voyais pas : le tintamarre des profondeurs, à ce point absorbé en lui-même que rien n’en sourd à la surface que ce feu sombre et de plus en plus rapide, de plus en plus fluide, qui finit par donner à la mer l’aspect d’un bloc de bronze, d’un monstre hiératique sorti d’un seul tenant de cette gueule de ciel pâle. Ma grand-mère n’était donc pas dispersée, mais incorporée à cet être, à cette masse froide et pourtant vivante de la mer. Que le soleil se couche et je puis voir dessous ses ombres. Comme si je dépliais des pans de cartes, ou parcourais les coursives d’un château immense à une vitesse affolante, ce tout faisait sens – sensuellement – dans ma tête opaque. J’étais là, donc, sur le pont, et tenté de me frapper la tête au bastingage pour qu’elle coule un peu de ce vieux sang qui ouvrirait l’appétit du monstre et le ferait parler. Mais je ne voulus pas faire attendre la terre qui pointait le bout de son nez dans le crépuscule.

Date: 06.05.2018. Extrait de Capoliveri.


aile de papillon
volée au vent
les boyaux d’une jument
flottant dans la rivière
à perte de porte

trigonométrie de ma dévoration
dans les arbres pleins d’yeux
que trace le brillant compas

les oiseaux s’abreuvent à ma tête sanglante

le futur singe l’appétit du présent
et dévisse

comment ne pas
se souvenir que j’ai déjà raconté l’histoire
cette matière violentée d’architecture
ce palais que j’ai bâti
et que je visite aujourd’hui
innocent et sale
les yeux grattés de lumière
dans ces couloirs – vides – où je
me met parterre
et pleure

il n’y a pas d’équidistance
dans la sensibilité
où trouent ces autres
c’est tout juste si
de temps à autre
on peut demander un temps
offrir ce bassin
où les poissons de nos visages
s’évadent
pour habiter
ce qu’ils sont

domaine de janvier
ces jardins lavés de limaille solaire
c’est tout ce qu’il reste
l’enceinte couchée
des paradis
laisse voir la courbe de l’horizon

trois écuyères chamarrées
miaulent à l’envers
il est midi
sans ombre leurs corps
font rire le temps
qui s’écoule sans chemin
et forme des dunes
que leurs sabots attaquent
comme cristal

Date: xx.xx.2017.


lorsque mon père disparaissait
avec les petits chats sous le bras
à peine nés, leurs yeux fermés
tout englués de gésine
qu’on ne pourrait bientôt plus
    différencier
de leurs paupières
    de petits morts
jamais ouvertes
lorsque
le soleil rouge du placenta
le jaune intérieur du monde
rencontrent le vieux soleil
là dehors
et qu’à petits coups de poumons
l’azur explose ?

lorsqu’il disparaissait et je ne comprenais pas
comment il pouvait revenir sans

d’abord,
il avait procédé par noyade
puis, parce qu’il n’avait pas le cœur à l’agonie
par un coup bref, net, à la tête
    petit crâne détruit
par un vieux rocher
le rocher : plus indifférent que l’eau
    néanmoins touché
de la terre par la terre
la destruction

le souffle fait inécessaire

Date: xx.xx.2017.

Pour comprendre un mensonge, il faut le pratiquer. — Ce qui s'accorde au proverbe: « pour connaître, lis ; pour maîtriser, enseigne. » — J'en ai récemment fait l'expérience en gardiennant une galerie d'art contemporain : j'ai menti sur l'art, j'ai menti sur le contemporain, et ainsi vendu une pièce à 48'000 euros. Avant cette expérience, je savais qu'il s'agissait d'un mensonge, mais n'en connaissait pas l'acte ; je reconnaissais l'écho, mais ne saisissais pas la scansion ; désormais, me voici capable de la produire et de la moduler. De là maîtriser : c'est-à-dire ne pas avoir besoin d'y croire moi-même pour y convertir ceux qui le peuvent.

Date: xx.xx.2016.

Qu'on me laisse garder pour moi les événements les plus puissants, les plus formateurs, sans croire que je ne veux pas les partager. Si je ne les montre pas, ce n'est pas que mon désir se satisfasse mieux de les cacher. Ils sont là, et se montrent comme ils sont, c'est tout ce que je peux dire. Leur apparaître est un agir. Leur forme est, et l'être y est toujours acte d'être. Parfois ils sautent aux yeux, laissent des traces kitsch aux commissures des sexes, des turgescences obsessives, pop, et folles de leurs propres villégiatures hors des cadres, avides de contaminer les mots et de faire suinter les phrases dans l'esprit à la manière de fongus et de photophores ; parfois ils exsudent un or fin dans l'ombre d'une grotte, ou dans telle église orthodoxe où l'électricité n'est jamais entrée, dans une touffeur qui se respire comme la ciguë tapissant les parois d'un œsophage philosophique ; et parfois ils se tiennent, perpendiculaires au temps, dans la main d'un petit dieu qui dort.

Date: xx.xx.2016.

Je suis assis dans le train, il va partir, direction Milano Centrale. Dos au sens de marche. Les derniers arrivés parcourent encore les couloirs, à la recherche de leur place, ou d'une place non réservée. Le train se met en mouvement, et c'est alors que se glisse d'un jet de couleur une jeune femme en face de moi. Je sais que nos regards se croiseront tôt ou tard, je ne sais pas quand. Elle enlève sa veste. Dessous, elle porte un pull d'une couleur indicible, quelque part entre le jaune citron vert et le vert de mélisse, doux et peluché, mais sur lequel j'ai malgré tout envie de mettre la langue comme sur une boule de glace citron sauvage. Voilà. Nos regards viennent de se croiser. J'ai levé mes yeux du téléphone sur lequel j'écris cette note. Et je sais que nos regards ne vont plus se croiser. Ni pendant le trajet — elle est dans mon champ de vision, je suis dans le sien, et nous vivons ce trajet à faire se toucher ces orbes — ni lorsque je quitterai le train au prochain arrêt. Si je lui lançais un regard à ce moment-là, elle n'en voudrait pas. Elle m'en tiendrait même un peu rigueur. Sans doute, je ferais de même. En attendant, nous sommes là. Elle a enlevé son pull, ses épaules sont apparues au-dessus d'un top noir. Elle lève les bras et joue avec ses cheveux. Elle répond au téléphone, c'est sans doute un vrai appel, mais elle y répond comme si c'était un faux, qu'elle aurait inventé toute cette scène, et peut-être moi, aussi.

Date: xx.xx.2016.

Je cherche un nouveau travail. Idéalement, j'aimerais travailler comme chat dans un champ. Mais je peux aussi travailler comme tigre de papier, secrétaire de secte, traîne-chapeau, conversationniste, rapailleur, maçon bizarre, ex libris, visage pour anonymes, désinformaticien, masseur-électricien.

Date: xx.xx.2016.

La liberté est un principe, c’est une arme qu'on peut lever en chaque être, une unité qu'on peut trouver en tout sans qu'elle ne s'additionne à elle-même. Un multiplié par un fait toujours un : c'est le principe de l'identité intensive.

Date: xx.xx.2016.

J'habite dans les gares depuis quelques temps. J'y vis, j'y demeure. Ce qu'il y a d'étrange à cela — que les gens sentent — eux qui sont là en transit. Aller d'un lieu à l'autre, la tête plus légère, laissant leur pensée vagabonder. Ce qu'il y a de vitesses différenciées, dans ce décollement d'un lieu que le train occasionne, parce que la terre est coupée sous ses roues, qu'il glisse entre métal et métal, dans la sensation très précise de ce décollement. Le voyage comme guillotine.

Date: xx.xx.2016.

Se laisser rattraper. — Quand je suis allé trop vite, que j'ai pour ainsi dire brûler les étapes du développement, du passage d'un moment dans un autre, que j'ai saturé les lignes et sauté d'un segment à l'autre sans crier gare : c'est alors comme si le monde était resté en arrière, qu'il n'était pas encore là où je suis, et que, bien que je lui sois toujours contemporain, il ne m'y reconnaît pas. Ai-je donc pris un raccourci temporel ? Ou suis-je parallèle à lui ? — Le problème principal devient alors de ne pas me laisser absorber par le sentiment de ma propre importance. Car cette discrépance pourrait être prise pour une distinction, égotique, historique. — Je sais cela obscurément, et je laisse mes ailes au repos, en vol plané. Je plane parmi les humains, jusqu'à ce que l'un d'eux finalement me voie et me fasse signe. Dès ce moment-là, et qu'importe vraiment le contenu de la conversation, je peux rejoindre bientôt ce monde, le laisser monter vers moi, comme une mer qui se gonflerait peu à peu jusqu'à venir se glisser sous mes plumes, ou comme si le sol du monde, le plancher des vaches, s'élevait par degré, jusqu'à ce moment où je suis en train de l'attendre et de l’atteindre. Difficile de dire si c'est lui qui vient à moi ou moi qui me laisse rattraper. Mais je sais que le moment où mes pieds touchent finalement le sol se manifeste toujours de la même manière, par un sourire sur ma poitrine, et le sentiment soudain d'un amusement, une curiosité babillarde, et quelques clins d'œil.

Date: xx.xx.2016.

Au fond de la scène, un écran sur lequel sont projetées des images de femmes et d’hommes souffrants. Ils ne bougent pas beaucoup, mais on sent qu’ils se débattent, qu’ils y sont. Les images sont peu colorées, comme un lointain qu’on regarderait parce qu’on est passé devant une fenêtre.

Un homme entre sur la scène.

La Houle : C’est moi, la houle… pas celle de la mer, celle du corps. La houle du corps. Le H qu’on avale, le son ravalé, ou bien poussé comme une bourrasque, Hhhhoule !... Ou encore (mais n’est-ce pas la même ?) évitée à peine mais évitée, et sous laquelle on renifle le saccage.

La Houle se meut d’un bout de la scène à l’autre, passe devant l’écran, s’arrête, repart. Par moments hiératiques, par moments pluvieux, il ne s’adresse pas au public, mais au monde entier dont on dirait qu’il se trouve derrière le public.

La Houle : La houle, c’est lancinant, aussi longtemps qu’elle dure, et la durée se prolonge, dans le sens de ces cures, que l’on se propose ou prescrit, la houle. Elle a ses houleurs la houle, comme les couleurs coulent, et les mouleurs moulent, et comme la mort MORD.

La Tique : Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii

Après ce cri, la Houle chancelle, comme assommée, puis s’effondre dans un grand ballet de robes. La projection se poursuit.

La Tique : t…. c….. n……… t…c… n…………..

Elle porte une robe qui ne reflète pas la lumière du projecteur, elle crée ainsi une coupure dans l’image, là où la robe de la Houle faisait partie de l’image.

La Tique : t…c…n….iiiiii. iiiiiiiiiiiiii. iiiiiii. iiiiiiiiiiii. iiiiiiiiiiiiii c…. e…….t……t………..iiiiiiiiiiiiiii. iiiiiiiiiii…………….c. moi et ma tête illuminée, qui s’aggripe au sens que je donne des choses.

Soudain de sous la robe de la Houle, surgit un personnage haut en couleurs, habillé de jaune, de rouge, peut-être de vert, quelque part entre Nina Hagen et David Bowie. Ce personnage – qu’on appellera la Jeune Pousse, parce qu’il est le dernier surgeon de ressenti et d’être – se lance droit en Y, achève une chorégraphie débile, puis, sur cette entrée d’histrion, dit :

La Jeune Pousse : Je me demande bien pourquoi l’on s’accroche autant à nos maladies ! Pourquoi ne veut-on plus les lâcher ? C’était probablement une mauvaise idée, d’habiter dans sa douleur, de vivre dans sa maladie comme dans une grotte, l’air vicié à la longue et les contours du gouffre si bien circonscris ; oui c’était probablement une erreur.

Et ce disant elle se détourne de la lumière, et son dos seul est éclairé, tandis qu’elle semble regarder dans son passé. Dans le passé.

La Tique : t…c…n….i….c…, e…t….i….c….. que faire, quoi faire, comment faire, que, quoi, comment !

Date: 11.12.2016.


ils ont les doigts comme des ombres
des ongles qui rêvent
des arborescences liées
coulées comme du métal dans les chemins de fer
qui font le tour de la terre
et la ceignent d'un corps de chauffe par où tout passe:
les routines, le sexe, les progénitures techniques,
musculatures invisibles qui vous attrape
au détour d'un battement de coeur
en vous râclant les cuisses
comme un cheval
sur lequel vous seriez monté en vous évanouissant
sur lequel vous vous réveillez
sans plus d'yeux pour savoir
— ça voir

la machine machine la machine
le métal est sévère
et la grâce l'emporte sur la discipline
lorsque celle-ci s'élève
dans la volonté pour soi du navire
qui s'échouera avec certitude
Titanic-fiction prise au pied de la lettre
où manifester la sensibilité
entre des termes
— qu'ils soient ceux qui vous échouent
parce qu'ils vous sont échus
la fiction de la fatalité
j'y taille des histoires où me lever dedans
de nuit

sueur sucrée
hyperterrestre
surrénées des matières au frotti indistinct
là où se mélange le prise de sang et le premier feu
l'éclair hors toute atmosphère rédemptrice
et qui jouit de sa lutte

les contrats sur sa tête de condamné-prolétaire,
homme-machiné et femme par détails
non par essence — qui serait lire à contre-sens
la femme ou le nègre
leur part divinisée
dans l'intersection des devenirs-soumis
dont la connaissance d'enclume élève le métal jaune
qui les achète sur les marchés
et dans les foires où l'iniquité dicte son message
aux futurs en formations

la théodicée du capital attend intime
la grotte fait vibrer ses bras instantanés
— nous y buvons le rhum sans les hommes
et dédaignons le sublime

Date: 16.01.2016.

La seule unité que nous ayons en propre, c'est celle de notre mouvement, notre animation. Ce qui nous fait "un" est beaucoup plus l'animal en nous que l'humain.

Date: ??.??.2015.

Entre les mondes. — On se rend compte parfois, tandis que nous parlons avec un.e humain.e, que nous sommes l'un.e et l'autre en train d'avoir deux conversations différentes, et de sentir à quel point la fenêtre est étroite, et comme il faut trouver la manière de faire se toucher ces deux dimensions (et celles sur lesquelles à leur tour elles ouvrent), avec des antennes si fines. C'est la description que donne Bailly de l'Ouvert, dans les yeux de l'animal, que l'on perçoit par effet de seuil.

Date: ??.??.2015.

Salut Léo,

Je me décide à t'écrire, et la question qui me vient c'est: pourquoi maintenant ?

Premièrement, c'est le résultat des décisions qui ont été prises hier par l'Eurogroupe concernant la Grèce. J'ai fait un rêve cette nuit : je voyais un homme (je le sentais) qui, tel Atlas portant la Terre sur ses épaules, s'était chargé à bout de bras de la tour Eiffel. Mais elle était condensée, de la taille d'une statue, et dans sa structure néanmoins je sentais tout son poids, de métal, d'histoire, de luttes. Et elle vrillait sur elle-même dans cette densification extraordinaire qui la faisait sembler à peine deux fois la taille de cet homme, grand lui aussi il est vrai. Ses muscles de colosse vrillaient sous l'effort, un effet stroboscopique de zoom et de dézoom dans lequel son corps vibrait d'une électricité noire, comme s'il était écartelé entre de multiples dimensions : celle de son corps, de l'effort qu'il produisait, et celle du symbolique où ses actions prenaient prendre place et valeur. Je le voyais transporter la tour Eiffel à bout de bras sous un soleil de plomb, quelque part entre campagne et ville, l'herbe jaunie et les bâtiments fumants. Nous sommes en Grèce. Je le vois marcher vers un temple, un temple à ciel ouvert dont le toit a été détruit par des guerres passées et dont il ne reste que les murs de soutien (mais ce sont les plus importants, ceux qui déterminent un espace de fondation et de circulation). Il passe sous une arche, entre dans le temple, avec la tour qu'il porte les muscles fiévreux, et qu'il tient autant pour soutenir son poids que par sa volonté de la mettre quelque part, de déterminer son destin. Là en face de lui se trouve un autel et je sais qu'il doit amener la tour de métal sur cet autel, qu'il veut l'y imbriquer. Car l'autel est surplombé d'un linteau de pierre, et c'est entre la base et ce linteau que la tour va être placée, de manière à ce que l'ensemble assume la forme d'une balance, avec son large socle, son axe et ses deux bras. Mon rêve s'arrête là. A mon réveil, je me suis demandé ce que signifiait cette tour Eiffel. M'est venue à l'esprit la devise de la Révolution française : liberté, égalité, fraternité. Ces slogans dont le sens et la portée sont très loin des préoccupations de l'Eurogroupe, tant les luttes menées à travers ces slogans sont incompatibles avec leur conception néolibérale de la force ; ces « valeurs » qui n'en sont que plus propices à être brandies par les idéologues, à la manière d'un phallus qu'ils font éjaculer dans le vide d'un ciel qui n'est plus le ciel de personne, voilà ce qu'était cette tour. Seule, dressée, à Paris ou n'importe où, la tour Eiffel symbolise l'oppression. Celle d'un mirador pour commencer, qui observe tout de sa position dominante. Celle du colonialisme, puisque le fer de sa construction provient en partie des mines algériennes. Celle de la compétition et du ressentiment européens, qui a conduit au cours du 20ème siècle aux guerres immondes que l'on sait. L'année 1889 avait été choisie pour commémorer le centenaire de la Révolution française : on la célébra par sa parfaite inversion. Or ce que s'apprête à faire, dans mon rêve, cet homme, renverse une nouvelle fois la situation : en encadrant la tour Eiffel entre le linteau et le socle d'une volonté complète, en lui donnant un ciel qu'elle ne peut pas percer, mais qu'elle est contrainte au contraire de soutenir, et lui donnant pour appuis non pas une capitale industrielle et nationale, mais une terre entre ville et campagne, rendue sacrée par sa résistance au passage du temps.

Deuxièmement. Que je t'écrive aujourd'hui, c'est aussi le résultat d'un processus qui parvient à terme, après un premier mois passé dans une nouvelle colocation, ici à Lausanne. J'ai quitté à la mi-juin la petite chambre que j'habitais depuis septembre dernier, située dans le quartier sous-gare, au rez inférieur d'un immeuble. C'était une chambre meublée de 12m2, dans un grand appartement de 8 pièces où j'ai vécu avec 8 êtres humains, 6 chiens, 2 axolotl (dans leur aquarium), 2 fouines (dans leur grande cage dehors), 2 tortues (leur maison dans le jardin attenant) et 1 chat, ce dernier d'ailleurs récemment décédé d'un cancer de l’œil. J'avais appris, envers cette population bigarrée, à creuser mes écarts, assouplir mes proximités. Mais déjà après quelques jours dans ma nouvelle chambre, située celle-ci en pleine vieille ville de Lausanne, au 2e étage d'une ancienne bâtisse, je réalisais ce que ces tactiques de cohabitation m'avaient demandé d'investissement, en temps et en énergie. D'un autre côté, cette ménagerie inter-espèce m'avait beaucoup apporté, d'expériences tout d'abord, inédites avec les chiens que je n'avais jusqu'alors que peu eu l'occasion de côtoyer dans ma vie ; mais encore et surtout d'expériences avec les humains. Mes colocataires étaient des personnes entre 40 et 60 ans, j'étais le plus jeune avec mes 34 ans, et chacune avec son parcours, improbable comme il se doit. Deux d'entre eux des pères divorcés, l'un originaire du Chili, l'autre de France, à qui leurs enfants venaient rendre visite de temps à autre. Un autre gars était arrivé quelques mois avant moi, originaire d'Angers, pour travailler en Suisse et y faire sa vie ; et sa femme, une Malgache, était venue le rejoindre en décembre dernier ; ce fut un grand bonheur pour moi de les rencontrer tous les deux, ayant vécu un an à Madagascar entre 2008 et 2009. Qui encore vivait dans cette maison ? Ma logeuse, atteinte d'une arthrose dégénérative, obsédée par la nourriture, ses chiens et le tricot, d'une gentillesse et d'une bonhomie à nulle pareille ; et son mari, ancien chercheur au CNRS, un brin alcoolique mais très sympathique ; plus encore un ingénieur australien et sa copine, qui ne se mélangeaient guère aux autres humains de la colocation et qu'on croisait de temps à autre en ayant presque oublié qu'ils existaient. Ah ! J'en étais venu après quelques mois à considérer cette maisonnée comme une ménagerie d'un genre particulier, où humains et animaux tenaient chacun leurs rôles, et où se produisait une sorte de péréquation affective globale, constituant là un écosystème des plus singuliers. Imagine le changement, entre là-bas et le lieu où j'habite à présent ! Dans ma nouvelle colocation je vis désormais sans animaux, mais aussi avec des personnes plus jeunes, qui n'ont pas encore ce degré de macération du tragique humain de mes précédents compagnons de toit. Immédiatement je me suis trouvé lesté d'un poids, et chargé de toutes les potentialités d'habiter que j'avais mises à l'écart durant mes années de pérégrination (cela fait trois ans que j'ai toutes mes affaires dans des caves, chez des potes, et que je n'ai pas habiter plus de 9 mois au même endroit, sans jamais m'installer, entre deux voyages). Cette fois-ci la pièce n'est pas meublée, il me reviendra donc entièrement de l'aménager. De l'habiter, au sens que je voudrais donner à ce terme. Je vais pouvoir récupérer mes affaires. Récupérer également tous mes livres, une fois que j'aurais construit une bibliothèque. A certains moments, cette possibilité d'habiter quelque part se présente en moi comme une émeute.

Et troisièmement. Pourquoi est-ce aujourd'hui que je t'écris appelle en effet à quelques remarques supplémentaires. Évidemment il ne s'agit pas d'être exhaustif. Il s'agit plutôt de te dire ce qui s'est passé afin de pouvoir sincèrement ne pas m'excuser de ne pas t'avoir écrit plus tôt. Je travaille depuis six mois environ sur la notion d'intime, que je traque dans tous ses retranchements, et dont je déploie les phylum aussi loin qu'il me paraît pertinent. Nous aurons sûrement l'occasion d'en reparler, mais voici en quoi cela se lie au fait que je t'écrive aujourd'hui : j'ai pensé, il y a deux mois, à faire de la lettre que je t'écrirai une partie de ce travail sur l'intime. Le motif principal en était que l'action d'habiter un lieu, de comment gérer sa vie au quotidien et dans quelle perspective — questions que tu me posais dans ton message, pour lequel, au passage, je te remercie chaleureusement : pour tout ce que tu y donnes de toi-même et pour ce que tu rends possible —, que ces questions me semblaient quelque part inhérentes au questionnement plus large dans lequel je m'étais plongé. L'intime, autrement dit la part de notre vie intérieure, la part de notre auto-détermination, de ce que je veux faire et pourquoi, de ce que je sens être vraiment moi, et des moyens que je décide de me donner pour déployer ma volonté dans mes actions, voilà à première vue de quoi il peut s'agir. Je sentais par ailleurs que, mon déménagement approchant, je ne pouvais me permettre d'écrire à propos de quelque chose qui était en cours, en train de se produire et pour la production de quoi j'étais conduit par le désir de laisser s'écouler en moi les matières de cette transformation, et non, donc, de les nommer et de les organiser par l'intermédiaire du discours. Or, il y a deux semaines, je me suis décidé à rassembler mes notes des derniers mois et à prendre mes quartiers d'été à la bibliothèque (celle de l'Université de Lausanne se trouve au bord du lac, contient une foule de livres en libre accès, est climatisée, et ouverte jusqu'à 23h, ce qui en fait à mes yeux un lieu de travail idéal). Je suis là tandis que je t'écris, occupé à creuser la terre jusqu'à y atteindre des rivières souterraines, à suivre ces rivières jusqu'à ce qu'elles me recrachent ici et là à la surface, d'où mon entreprise de cartographe se trouve de fois en fois confirmée dans l'action. M'étant mis à ce travail, je peux t'écrire, pris du dedans de ma recherche par les yeux d'une Méduse qui se retourne asymptotiquement contre elle-même de ce que je ne la regarde que de travers. Je virevolte autour d'elle ! Je l'attaque par mille aspects, oui ce sont mille visages que je lui propose, et dont aucun n'est plus vrai que l'autre. Comment pourrait-elle me figer, « moi », dans la pierre ? Car « moi » est détaché de ce que je suis lorsque je suis un tel mouvement. La pensée, vive, la pensée alerte, vérifie le cogito ergo sum dans le sum quamdiu cogito : je suis quand je pense, mais d'avance, comme le disait Lacan, je suis surtout tout ce que je ne pense pas, puisque la pensée est mouvement, n'est que le mouvement du pensé dans le non-pensé. La preuve ontologique de Descartes est fausse en tant que telle, bien sûr ; par contre, en tant qu'éventualité performative, elle est d'une efficacité certaine. Lorsque je pense, lorsque ma pensée est ce mouvement pur, alors je suis, mais ce je suis traverse le moi au même titre que mille autres choses que je suis tout autant. Le « moi » n'est alors plus que « cette station incompréhensible et toute droite au milieu de tout dans l'esprit » dont parle Antonin Artaud dans Le Pèse-Nerfs.

Date: 15.07.2015.

Un plateau zafimaniry, un bol tibétain, un pantin soldat bariolé qui s’agite avec une ficelle, une boîte au chapeau de poisson, un T en 3D avec motifs neuronaux, trois chablons à lettres (bleu, rose et jaune), une passoire, une soixantaine de pièces de différentes provenances, une cravate Corto Maltese, un bilboquet inversé de Finlande, un sous-plat en liège découpé en forme de lune, de étiquettes pour colis postaux, un mini-prisme kaléidoscopique vert émeraude, un ennéagone en tourmaline noire de Madagascar, un presse-papiers en plomb taillé, un calendrier ornithologique (2011), un bout de tissu tissé (bordeaux et gris-blanc), un rouleau de papier autocollant, pierre polie ovoïde verte et jaune à motifs, une boîte noire contenant un zippo et de l’essence à briquet, un yo-yo papillon noir, un rag de papier velours noir, turquoise et carmin, du raphia violet, rouge et vert, un petit morceau de corail blanc, une boîte artisanale en osier à lignes vertes contenant diverses graines, cailloux, roches volcaniques et une amulette alchimique, un emblème des baobabs de Morondavy, des lunettes 3D, un double couteau Zafimaniry, les restes du tissu tissé, des lacets blancs et noirs, une amulette home-made de Jupiter et Shiva (pour l’action), diverses cordes de guitare, un disque lumineux cinétique, deux bracelets (dont un malgache), un sac de plastique rempli de cailloux, coquillages, graines, boutons ; bandes scotchées contenant des pétales, des pelures d’oignon et du tabac pressés, un rhinocéros en bois (orange) qui sourit, un tendeur avec un crochet manquant, un petit nécessaire de couture dans une pochette à fleurs japonisante, une figurine en plastique de Pluto cosmonaute, une minuscule baleine triste en porcelaine, diverses roches volcanique et un morceau de quartz, une barre en métal, un grelot sur un trombone, un caillou violet, un caillou en forme de rune, deux pelotes de fil (gris et bleu anthracite), un dessin (sur transparent rose) d’une femme cyclope nue avec des gros seins qui court, fin d’un rouleau de ficelle de chanvre, de la ficelle de jute, une boîte d’aquarelle, deux petits bocaux, des enveloppes, une pierre décorée au stylo (anima subaquatique, datée du 05.12.07), un pull laine beige XXL tricoté par grand-maman Yvette, une peluche souris rouge et motif à fleurs avec une seule oreille, une autre paire de lunettes 3D, une paire de gants en polaire gris sale, impression d’une estampe japonaise, une grande équerre en bois, un pantalon en lin blanc, une baleine en palissandre de Sainte-Marie, un t-shirt gris avec des petits vers blancs, une règle de 50cm, tirage encadré d’une photographie intitulée « gondole con nebbia », un soleil animé en bois peint, une chouette en porcelaine peinte avec des gros yeux et des fleurs, un petit bougeoir en bois gravé, une icône orthodoxe sur bois représentant une Vierge à l’enfant, un compas lithographique en métal, un présente-livre en plastique transparent, un chat porte-bonheur chinois doré avec bras animé par une pile AA, icône orthodoxe sur bois « Trinité » (signée Roublev XVe siècle) avec un accrochoir en cuir, de l’encens, une boîte à thé aux motifs royaux doré, vert pâle et carmin contenant une montre à gousset cassée avec les aiguilles à nu, une ammonite, une pierre blanche ovoïde veinée de vert-gris, une pierre arc-en-ciel du Portugal, un morceau du vase brisé lors du cours du jeudi 7 avril 2011 « Le Temps, ce grand sculpteur » de Yourcenar (cette inscription sur le morceau), une assiette en poterie avec le nom d’Allah venant de Cappadoce, une petite boule tesla, un rétroviseur, un livret en accordéon tibétain, une pierre turque contre le mauvais œil, des boules de Qi Gong, une boîte en bois laqué rouge stradivarius celtique, un triangle (instrument de musique), un scorpion en métal taille réelle acheté dans une boutique à Paris, un porte-manteau en forme de H, deux branches de noisetier entortillées, une baguette de bois de sourcier rhinocéros en Y, une pierre sang polie veinée de blanc, deux objectifs photographiques, un sac de coquillages récoltés sur une plage près de Tamatavy, un coq étrusque, un dé à coudre en corne de zébu, une petite boîte hexagonale en corne de zébu, un petit hibou en pierre taillée, une lampe à huile style lampe de génie en métal lourd, un bracelet de boulons, une statuette de Kali, une mini lampe de ceinture, un calendrier lunaire, un yo-yo jaune en plastique, un cintre vert en bois, une paire de lunettes 3D old style (bleu et rouge), une petite cuillère emmaillotée de fils et dessinée d’un œil et de symboles hindous, un artefact de type bracelet en métal patiné par l’âge d’origine inconnue avec trois excroissances ressemblant à des grelots, une boîte en osier sur le couvercle de laquelle est couché un lézard en bois, une petite toupie en bois à haute tige, une poterie pour petite fleur de ma cousine Philo, une petite boîte en métal ronde gravée de motifs celtes et à couvercle vissé contenant une toute petite plume, une boîte en poterie marquée sur le côté « dried frog pills » et arborant sur son couvercle une grenouille prête à sauter avec de gros yeux noirs, un panama, une pierre en deux fois cinq points entremêlés, une théière bleu doux semblable à un houka, un bâton de pluie, un chapeau de magicien noir en étoiles, un agenda fait main allant du 10 mai 2010 au 18 septembre 2011, un béret rond, une raquette de squash, un cadre d’ornement doré en métal habité d’une composition structurelle se déchirant autour de la phrase « le dormeur doit se réveiller », une mesure à lait en métal usé, une lampe métallique au design en T et à la lumière blanche, une tasse à rayure blanche et noire où se trouve enclos dans une bulle le mot « WHATEVER ».

Date: 12.10.2015.

Captation-réponse à la conférence-performance de Vincent Barras

Qu'est-ce qui parle dans ma bouche quand tu parles de l'air qui entre dans ta bouche et fait vibrer ta glotte, qui par-delà le larynx s'engouffre dans ta trachée, tes bronches ? Est-ce le même air qui s'imprime contre tes poumons et contre les miens ? Du latin pulmo, au grec ancien pneúmôn... et tu l'évites autant que tu peux mais la proxémie de pneuma avec l'âme et de l'air que nous respirons avec celle de l'univers se tisse malgré toi et casse la cassure de ton souffle. Le diaphragme, le percolateur énigmatique comme tu l'appelles, façonne ta pensée en tête à queue le long d'un X christique, et tu la trouves « un peu queer » ta pensée, alors tu le dis de ce X, où « un peu » fait contre-sens puisqu'il ne peut l'être qu'en essence, hyper-rotatif et dissocié de tout ce qu'il assemble. Je ne comprends pas pourquoi tu continues de parler, mais cela m'arrive. Je t'entends trouver du même et l'associer, coupler des mouvements, les mesurer et ce faisant capturer ma finitude dans l'ombre de tes cercles. Récolte maintenant ce qui se dépose au fond de mes poumons, ce que le monde a craché dans mes organes, et établis la règle de ma suffocation : le cri.

On est entré dans une pièce vaste où s'enregistre une émission de radio. On s'est assis, on écoute, les vitres sont fermées, on nous a dit « chhhhhhht », car on enregistre une émission de radio, sur le cri. J'aperçois une femme prendre des photos, nous prendre en photo : asphyxie d'un autre diaphragme, on n'avait pourtant rien demandé. Social, soit, mais c'est le monde qui tourne encore et malgré les fenêtres fermées j'entends les hirondelles trisser là-dehors au ras des toits. J'ai le sentiment que ce ne sont pas les bonnes personnes qui crient. Non seulement parce qu'on est interdit de faire du bruit en raison d'un certain hygiénisme radiophonique, mais aussi à cause de la division de l'espace entre locuteurs et auditeurs : vous êtes soit l'un, soit l'autre. D'où cette réponse en différé. D'où aussi le fait que les uns et les autres ne s'adressent finalement qu'à eux-mêmes, puisque le mot d'ordre renvoie toujours le public au fait qu'il n'est pas artiste, et l'artiste au fait qu'il vaut mieux demeurer incompris, ou alors être ouvertement superflu. Le dégoût et les couleurs d'un relativisme culturel qui porte mal son nom, puisqu'il y s'agit surtout d'abstraire chaque production de son contexte d'émission et de son horizon de réception. Pourquoi le public est-il cela auquel s'adresse l'art contemporain ? Parce qu'on est parvenu à faire en sorte que l'appréciation de l'art devienne un acte docile et régulier. Parce que lorsque l'on parle, « on s'écoute, et seulement alors on entend ce qu'on a dit et pouvons dès lors le penser » (je retranscris l'intention que je prête au locuteur), et ainsi l'art prend-il cette valeur de n'être que le signe de la digestion de tout l'écrit, de toutes les images, de tous les sons, de toutes les matières précipitées par l'humaine ingéniosité dans ses propres entrailles d'animal suffoqué, dissocié et grammairien. Toc toc sur « la cavité supra-cavitaire de la bouche c'est-à-dire le crâne » (mot pour mot, je crois), j'entends une bourgeoise athée de culture chrétienne en plein orgasme, et je vois son mari devant un computer, lire un abrégé de la deuxième topique freudienne sur Wikipédia. Sa nuque rigide, sa poitrine qui se voûte, la répartition inégale des pressions sur ses disques intervertébraux, ses trapèzes travaillés par les micro-contractions de son effort statique, à hacher le sens en petits morceaux précipitent les virtualités de mon cri.

Je suis sur ma peau le tracé de tes mots, maintenant, relisant mes phrases à voix haute, et j'entends mon corps et je lui parle. Je suis sur ma peau, debout sur ma peau, partout sur ma peau je suis sur ma peau debout, contre l'air. Ce n'est pas seulement au fond de mes poumons qu'il s'imprime, c'est sur toutes mes surfaces, sur tout ce par quoi ma peau s'aime et s'anime à la puissance n d'une propre fractale infiniment étrangère à elle-même. Le ça, le surmoi, le moi, sont produits dans le corps de manières bien plus diverses, que seulement localisés sur les organes génitaux, la tête et la glotte. A commencer par la peau, le continuum dedans-dehors, et la manière dont le nouveau-né se tourne vers la voix de la mère, amorce les processus de distinction entre le moi et le non-moi, puis entre le moi corporel et le moi psychique. Déjà le premier cri du nouveau-né, ses cordes vocales que l'air fait vibrer, les sons que l'air répercute en myriades diaphragmatiques, et les poumons qui sont désormais à opérer leur tri entre les 20% d'oxygène et tout le reste de l'air dans cette pièce fermée. Le son profite de la propagation favorable de l'azote et de l'oxygène combinés, puis commence à ralentir, du fait de la chaleur, et de la plus grande densité de gaz carbonique. Bientôt ce sont les odeurs, les parfums, et toutes les pollutions des habitations modernes, dont l'air se renouvelle jusqu'à 20 fois moins vite que celui des maisons anciennes. Peut-être que tu asphyxies toi aussi, je ne sais pas. Je ne te connais pas, et je suis si concentré sur ma résistance. Dans l'air, pour l'air. Je n'ai pas le droit de voyager sans passeport, alors je me loge dans la moindre anfractuosité du son. Mon cri, de partout, vrombit et se frappe les ailes contre les vitres. Quelle est ma tolérance à la douleur, quelles limites ? Que me faudra-t-il arracher à l'absurde ? Le visage de ma peur, l'angle maximal de ma mâchoire, la plus grosse bite que je peux sucer ? Quel, mon bâillement le plus épuisé, quel, mon cri de guerre ? Et en réponse, quel est l'espace où mon cri voudrait habiter ? La glotte horizontale de mon cri. Ma volonté dans les intersections qu'elle crée.

Date: 11.06.2015. Extrait de Screamscape / La règle de ma suffocation.

La liberté d'expression a bon dos. Elle permet d'évacuer le fait qu'un tel attentat ne se produit que dans le sillage du colonialisme, de l'impérialisme occidental et du néolibéralisme. Une « menace à nos valeurs, à la liberté d'expression » ? C'est l'auto-censure généralisée des autres médias, le laxisme, la naïveté, le laisser-faire, et cette pression vers la vente à tous prix, le 4e pouvoir qui se vend au plus offrant, et le désinvestissement des lecteurs et des citoyens, qui fait qu'on s'attaque à un journal comme Charlie Hebdo, qui, lui, avait des opinions, et ne vendait que très peu. Si l'on pleure aujourd'hui c'est sur beaucoup plus que sur la mort de douze êtres humains, plus que sur un journal ; l'on pleure sur toutes les instrumentalisations qui ne manqueront pas d'être faite de ces événements, sur l'absence de confiance que nous avons dans nos gouvernements, sur la puissance du complexe militaro-industriel, sur la destruction des jeunesses dans les banlieues. Je souhaite que ces larmes nous entrent profondément sous la peau.

Date: 07.01.2015.

je défais les coutures des couleurs et des crimes
et pour l’heure, vu que tu me préfères habillé plutôt que nu, je serai là dans ce monde à la manière d’un polichinelle
je devrai me changer souvent
arborer des plastrons
des moustaches et des vagins de toutes les couleurs
avec ou sans profondeur
en rond en cercle et en triangle
asymétrique à moi-même
et je serai rare, parce que toujours en train de commencer
et je serai vêtu de papier de verre
le monde se frottera à moi pour se raboter
et je danserai en le touchant
mais ma peau sera muette
elle dormira dans mon cœur

Date: xx.xx.2014.

Donnez-moi quelque chose qui me touche
qui fasse exploser mes yeux
qui teinte de bleu mon cœur
qui lorsque j'en parle m'écorche la bouche
qui lorsque j'en parle alterne avec ma voix
qui respire mes soupirs et irrigue ma fougue
qui s'aliène ma misère
qui libère ma genèse

et donnez-lui ce quelque chose que je suis,
et donnez-moi cette chose qui devient
ce que je suis quand je deviens ce qu'elle est.

l'inespérée, la radicale
amazone du hasard
si inconsciemment certaine d'être elle-même
que son positif ne voile pas la trace d'une larme
et laisse transparaître la clarté de son devenir.

je t'aime quand tu vis ta vie,
quand tu affirmes ta puissance
je t'aime dans ce temps blanc d'entre tes regards,
et d'entre tes sens, tout notre temps à nous mêler

notre manière de créer notre nécessité,
de la poser dans ces circonstances
notre résistance, notre manière d'être hasard
de souffler dans les cordes de l'inconscient
de vibrer avant l'attaque
de singer le chant du coq
d'avoir l’éternité brève

je suis ton repos
tu es ma brûlure
je suis celui qui tombe en flamme
tu es celle qui danse dans mes cendres
tu es l'épanouissement qui me fragilise
je suis la mort qui te pousse à naître
tu touches la corde de mon arc et te vole à ma passion
et je te tend dans la musique de mon corps

tu ne peux pas être ce que tu veux :
car ce que tu es, c'est cela qui veut en toi
ta volonté c'est ta forme,
et c'est le seul lieu de l'être
qui se dit d'une seule voix de toutes choses

Date: 03.11.2014.

La nuit de mercredi à jeudi, j'imaginais la Mort, la Grande Dame comme on l'appelle, en chemin à travers l'espace et le temps. Et je la voyais arriver vers Jean-Marie et lancer son classique : « je viens te chercher ». Mais soudain, elle est là comme saisie d'un doute : «ou est-ce toi qui viens me trouver ? »

Toute déboussolée la Mort...

Bien joué Jean-Marie.

On est nombreux à s'être demandé si tu étais mort en avance... Sauf que... qui donc aurait décidé de quelle est l'heure juste pour mourir ? La nature ? Mais toi aussi Jean-Marie tu es la nature. Le cancer aussi, c'est la nature. Et nous tous qui t'aimons aussi, nous sommes la nature.

Alors, Dieu peut-être ? Trop longue discussion en perspective mon cher !

Certes, nous aimons le sens...

Mais mourir est quelque chose d'aride, car même si l'on peut mourir de mille manières différentes, en des circonstances fort diverses, on ne meurt qu’une fois.

La mort est unique, comme la naissance.

Elle est cet événement où nous sommes perdus.

Perdus...

D'où toutes ces recommandations que nous nous faisons au moment de partir.

D'où sans doute que l'humanité aie de tout temps chercher à établir des cartes de l'au-delà.

Et je ne sais pas moi, à la fin, de quoi il retourne.

Je sais que tu t'y es préparé, en faisant tienne cette pensée, que « nous mourons un peu chaque jour ».

Et je sais que nous t'avons souhaité bonne route, bon vent !

Le reste, nous l'avons laissé à ton imagination...

L'imagination, « et la tendresse bordel » !

Et ce sont juste d'autres mots je crois, pour dire cette liberté que tu as aimé si fort.

Alors, tu t'en sortiras très bien Jean-Marie, j'en suis sûr.

Je crois même que c'est là que je te retrouve, dans l'imagination.

Parce que je t'ai vu rêver ta vie, j'ai participé dans ce rêve parfois, de toute façon j'étais là quelque part avec toi, dans ce paysage... En montagne, au jardin, à la maison, en vacances, avec du fromage et du rouge, et dans le Cantique des Cantiques, le Prophète, Sénèque, et les poètes... la Vierge noire du Puy, le Nord, Dijon, Brenles, Prilly, et les voyages, sur un tapis volant, ou au volant de la voiture, et avec maman, avec les tiens, avec nous tous, et tes histoires de boulot, ta manière de passer par Marseille... et puis ta passion, et tes mots, et tes yeux...

Maintenant tu as fermé tes yeux, tu rêves autre chose... tu rêves ta mort ... mais tu vois, cette force de rêve, la tienne, on la sent toujours.

Avant ta mort, en connaissance de causes, en connaissance de la date et de l'heure, j'ai accompagné ton geste, et j'ai dessiné avec mes veines le choix ton cœur, ce choix de mourir.

C'est-à-dire d'y aller de face, en marchant.

Avec clope au bec à la montée.

C'était comme de faire une dernière marche avec toi.

Et j'ai dit oui à ta mort, je l'ai accueillie en moi, je l'ai portée dans mon ventre d'homme.

Je suis devenu un bout d'elle.

Et nous tous, nous avons fait de même, chacun à notre manière...

Si bien que quand elle est venue ta mort, quel masque mettre sur le néant de sa face elle ne savait plus trop... Elle avait tous nos visages, et on souriait tous plus ou moins, et ça giclait de nos yeux, et on avait le cœur si serré... bref, j'espère que t'as trouvé ça sympathique...

Maintenant je ne sais plus si c'est triste, ou si c'est joyeux.

Ce n'est pas la mort qui est dure de toute façon, c'est la vie.

C'est pour ça qu'on veut tellement l'aimer.

Pour ça qu'on est heureux de l'avoir aimé avec toi !

Et heureux aussi parce que tu nous as dit en partant : continuez !

Un peu comme si tu partais pisser au milieu d'une partie de cartes.

Tu seras pas là pour la nouvelle donne Jean-Marie, et on sait tous que tu serais bien resté un peu plus longtemps. Mais on se souvient que quand tu étais là, on était toujours plus que quatre autour de la table, parce que tu comptais pour deux ou trois, et que ça créait de la place, où venait se nicher des rires et des chansons.

Merci Jean-Marie... on t'aime fort. Et on continue.

On va continuer je te le dis, et de plus belle.

Date: 20.08.2014. Extrait de a+ Jean-Marie.

Que fait le soleil lorsqu’il repasse par les mêmes ombres ?

Date: xx.06.2014.

Qu’elle s’exprime sans que le sexe prime, le sens entre x et x’.

Date: xx.06.2014.

J’aurais envie de dire ça comme ça : je ne suis pas mes visages, je suis ce qui envisage et dévisage, l’énergie qui habite chacun de mes visages, l’âme qui prend possession d’un visage et à travers cet acte ne s’appartient qu’à elle-même dans la mesure où elle se donne totalement en chacun, et ne s’identifie à aucun. S’identifier, dire « ça c’est moi », ce serait nous couper de nous-même, parce que nous sommes mouvement. Par contre je peux dire « c’est moi aussi » et voir de l’autre œil tout ce qui passe de matière par cet œil qui regarde le monde lorsqu’on sait et sent que mille mondes aussi regardent en nous.

Date: xx.06.2014.

Je ne suis pas un homme, pas une femme, je suis une putain de chimère (et je vous emmerde).

Date: xx.05.2014.

Nébuleuse du Cygne. — Je n’ai jamais ressenti la nécessité de mettre en question la réalité que me transmettent mes sens. Le relativisme biologique de l’appareil proprioceptif humain est assez clair pour donner à penser, assez distinct pour que je n’aie pas à m’y tourner vers des doutes plus extrêmes. Les méditations de Descartes, au titre d’exercices de l’esprit, ne m’en intéressent que davantage ; mais en tout et pour tout ce n’est pas une question que je pose en face du monde, que de savoir s’il est réel. Je me fous de savoir si le TOUT de ceci est ou n’est pas réel — par contre, il m’importe de savoir ce qui, de ceci, l’est et selon quelle degré, qualité, etc.

À l’avenant, dès qu’un phénomène m’est présenté sous un angle exclusivement humain, il perd à mes yeux tout intérêt. Et dès qu’on me parle de nature, d’étoiles ou quantas sans y impliquer tout le reste, je n’y vois bientôt plus que ce reste, et les discours humains flottent alors devant mes yeux comme les nuages d’avril vite chassés par le vent.

L’illustration de cet état d’esprit fut donnée par ces mêmes nuages, c’était il y a trois heures environ. Je suis sorti, le vent soufflait, soleil à grands à-plats sur la ville, rien de moins normal que tout ce qu’il éclaire, des tourbillonnements de luminosités adverses comme sur un acier de Damas, les arbres aux feuilles à peine dépliées d’un vert frais, des nuages qui accélèrent dans le haut ciel, leurs formes le chicanant au vide, expansions, foetus et dragons, des fumées terrestres qui se diluent dans l’aorte de l’azur — et le vent, nettoyant les pores de ma pensée, permit que s’y déposent ces quelques étincelles.

Date: xx.xx.2013. Extrait de This is quite useless.

– Charroux, Robert Charroux.

— Et c’est pour ça que quoi ?

— C’est pour ça que les hommes sont devenus des hommes… sans ça ils seraient restés des troglodytes.

— N’importe quoi !

— Quand on parle d’un homme ça fait tout de suite très drôle, je suis d’accord avec vous c’est quasiment incroyable ! Encore quelqu’un qui croit à des légendes !

— Vous voyez, je trouvais dommage quand mon ami me parlait des pyramides inscrites sur une ligne qui aurait été l’équateur à l’époque de leur construction, qu’il ne commence pas à me parler de l’Atlantide et du continent de Mû.

— Ah mais c’est la science de l’Atlantide qui a permis la construction des pyramides.

— Bien sûr.

— Bien sûr, ah mais…

— On est tous d’accord là-dessus.

— Ah mais si vous partez sur des hypothèses comme ça vous pouvez aller très loin. La question c’est qu’à un moment donné vous risquez de ne plus trouver de [indistinct]

— De quoi ?

— De terme.

— Mmmm-mm.

— Moi quand on va quelque part j’aime bien qu’on arrive quelque part.

— Mmmm de terme dans ce sens-là.

— Là on peut se dire qu’on a atteint quelque chose qui aurait pu être un but pour un autre.

— Finalement mine de rien vous êtes assez pragmatique.

— Ben c’est-à-dire que… je me trouve très bien d’être fini. Voyez. J’ai une haine pour l’infini. Mouais. Je pense que chaque chose a un terme, et c’est dans son rapport à son terme qu’une chose m’intéresse. Dans la mesure où ça ouvre sur l’infini ça m’intéresse pas du tout. A cet égard, il y a Alexandre Koyré, qui a écrit un livre qui s’appelle « Du monde clos à l’univers infini », où il est justement question de [indistinct]. Puis vous savez qu’à l’époque on avait l’orbe sublunaire, et pis des orbes extra-lunaires où il y avait notamment la sphère des fixes. Alors maintenant on est éventuellement dans un univers en expansion, éventuellement en contraction, on se demande si il est fini ou pas, comprenez ? Alors au niveau de la cosmologie ça a été une grande révolution. Et puis, y a un Msieur qui s’appelle Jaccard, qui a sorti un livre où il dit justement le contraire : voici venu l’heure des mondes finis. Là ça veut dire qu’on est x milliards sur un vaisseau, et puis que…

— Mais là il ne parle pas de l’univers, il parle du monde humain.

— Ouais. [un temps] Moi j’aime bien que les choses puissent avoir leur terme. Maintenant si une chose a son terme à un endroit où je m’y attendais pas, ptêtre qu’elle va me décevoir parce que c’est pas une chose avec le terme que j’attendais alors j’en chercherais une autre, mais ce sera de toutes façons une autre qui aura son terme quelque part.

— Mmm…mmm.

— Que je puisse pas me satisfaire de la première venue ni de celle à laquelle j’ai cru un certain temps c’est parfait, mais il faut que ça reste dans un ordre fini.

— C’est comme ce dont on parlait tout à l’heure en disant qu’il n’y avait pas de synonymes.

— Ouaip.

— Et du coup chaque terme, au sens d’un mot, c’est aussi un terme, au sens d’une finitude.

— Alors j’ai trouvé une phrase qui m’a parue très intéressante, que j’ai lue dans un livre, dont c’est la seule chose que j’ai retenu, alors : « Il y a les dames libérales, les épouses radicales, et les femmes socialistes. »

— Quel con !

— Vous trouvez con ? Je trouve très intéressant. C’est l’exemple même des synonymes. Le même objet référé à d’autres ordres de choses.

— [rires + indistinct]

— On m’a demandé, mais chez les anarchistes, comment c’est ?

— Ah ouais !

— Alors… j’ai entendu Bernard Lavilliers, qui dit dans La salsa que c’est une frangine porto-ricaine. Alors ptêtre que chez les anarchistes c’est les frangins et les frangines… j’sais pas.

— Eh ça vous dit qu’on aille faire un tour à la librairie?

— J’en viens.

— Ah vous en venez ?

— C’est là que j’ai trouvé « La moisson rouge ».

Date: xx.xx.2013. Extrait de This is quite useless.

Holo-to(u)pie. — Toujours, en situation de risque, sonne un (r)appel vers le dernier abri laissé sur la route. Ce dernier abri devient vite le rappel de beaucoup d’autres. Se remplir l’estomac, ou des mets familiers, ou un lieu, le recours à un argument, la haine (curieux à quel point l’on peut se sentir sécurisé par la haine), l’apitoiement (vanité là encore), l’orgueil du chez-soi, ou d’autres formes de bonheur relatifs, vaincus, épuisés ou espérés sans succès. Il faut d’abord se rendre compte que si le bonheur est perçu comme abritant (tentation sans doute légitime), le sentiment de s’y trouver abrité est justement un effet in absentia. Réalisé, d’ailleurs, ne tend-il pas à ouvrir sur un autre chaos ? Ensuite il s’agit de fermer des portes. S’il y avait sens à revenir vers des lieux auparavant traversés, le fleuve qui y ménerai ne serait de toutes façons pas le même : car lorsqu’il y a du sens, il y a du temps, il y a une histoire — et une épaisseur à cette histoire.

Date: xx.xx.2013. Extrait de This is quite useless.

La reine rouge décapitée contient sa propre solution sur l’échiquier des possibles.

Dans les coulisses, l’autre reine est blanche d’un blanc mensonge.

L’une est voilée au dedans, mais sanglante au dehors, et qui plus est, volonté de sang.

L’autre joue de ses voiles au-dehors, mais son coeur c’est de la viande explicite.

La reine rouge n’est d’affirmation que dans son expression capitale, et crache son sang pour en couvrir des mondes de désirs ; la reine blanche, pendant ce temps, travaille à sa panoplie d’éventails, ses vents soufflent mais du dedans son feu persiste et surmonte ce qui lui résiste.

Date: xx.xx.2013. Extrait de This is quite useless.

Je me suis éveillé « un matin », et je me suis révolté des limites étroites que j’avais mis à mon être. Étroites, elles ne l’étaient pas relativement à l’envergure que mes ailes demandaient pour se déployer. Je n’étais pas le poète aux rêves trop vastes pour ce monde, mourant d’avoir à les traîner dans le confinement des réalités de la tristesse humaine. J’étais un homme, dont les ailes devaient s’ouvrir complétement, ou ne s’ouvrir jamais. Si j’avais longtemps cherché l’entre-deux, si j’avais espéré, même, trouver une tierce voie qui m’aurait abandonné, content et silencieux, au sort de ceux qui ne peuvent plus choisir, j’étais ce matin-là au fait de la vérité, et du choix qui, de m’être éveillé, s’était imposé en moi. La vérité, je ne lui faisais pas face ; je n’aurais voulu, pour rien au monde, en parler. J’étais la vérité. Le choix était de l’avoir fait.

Je regardai derrière moi, et dans un triste décor je vis mon être, bleu de n’avoir pas vécu. La vie n’y grossissait pas de l’intérieur, elle l’éclairait du dehors ; et la volonté, sa cornée ridée de compromissions, troublées par les larmes de la répétition et de l’oubli, n’encourait qu’aveuglément le risque de s’aveugler, dans une obstination vaine de se prendre elle-même pour objet.

Comment étais-je passé de l’un à l’autre, il n’y avait nul chemin reconnaissable en ces ténèbres, nulle méthode, et tous les livres étaient morts. Les mots justes, ne peuvent être lus que par des yeux justes. Le chemin n’est là que lorsque nos pas le tracent… Il n’existe pas de moyens pour atteindre ce qui n’est pas une fin, mais le commencement.


– Oui, je veux apprendre à voler comme cela, dit Jonathan, et une étrange lueur brillait dans son regard. Dites-moi ce qu’il faut faire.

Chiang parla alors lentement tout en observant son cadet.

– Pour voler à la vitesse de la pensée vers tout lieu existant, dit-il, il te faut commencer par être convaincu que tu es déjà arrivé à destination…

Date: xx.xx.2013. Extrait de This is quite useless.

Quoique la réponse n'existe pas encore : pose la question.

Date: 09.10.2013.

un poème décapotable... faire du ski nautique à l’arrière d’un train... se convertir à une religion disparue

Date: xx.07.2013.

Je suis le trait d'union de moi-même.

Date: 20.04.2013.

Oh mes émotions, je vous y prends à parler des langues mortes, je vous tire les oreilles, paresseuses !

Date: xx.01.2013.

deviens toi-même l’hypothèse de l’être !
et multiplie ta conscience

Date: xx.01.2013.


0° le couloir
1° le voyageur voyagé, ou parallèle, contigu et théologique (le cheval dans le sac à dos du mec qui a rencontré le fantôme de Gengis Khan)
2° roulade dangereuse (au bord du lit, bam, de deux mètres de haut, sous hauts projecteurs)
3° les deux nombrils, ou « toi aussi mon fils »
4° « arnaque en Irak », ou la baleine dans le noir avec des textures bizarres
5° la salle de repos, heptagone de molasse, puit de lumière, lit à deux étages
6° le couloir

Date: 11.10.2012. Extrait de Le Musée de l'histoire brute.

Je préfère projeter ma propre ombre.

Date: xx.08.2012.

L’opération du langage est le changeant horoscope de l’âme, il constelle sa plasticité, il configure le contour et le contraste des affects, incline le lit de ses rivières, la pente de ses élans, la résistance de ses métaux.

Date: xx.08.2012.

Mes yeux étaient verts et je ne voyais rien parce que le monde entier était vert et que je mêlais à lui sans n’avoir de désir que la peste noire répandue à l’infini de ce regard, dévorant à l’infini ce miroir d’identités circulaires par pointillés de mille billets de train troués dans dix milliards de train trouant l’espace dans toutes les directions de l’espace et me faisant tellement poreux que j’en semblais la chose qui l’est le moins, celle en qui chaque élément se loge et s’arme si parfaitement en chaque autre que le doute se transforme en grammaire et que les fonds marins chargés de poudre de coquillages et d’organes se font chutes de pluie ridulant dans le ciel à la traîne d’une femme orageuse qui m’aurait aimé.

Date: 28.08.2012. Extrait de Explicit paradise.

Du discours de l'homme en robe noire, il n'avait pas tout compris, loin de là ; mais dans l'ensemble, le petit Tony en comprit davantage que la plupart des adultes présents. La compréhension des adultes est limitée par ce dont ils usent à la justification de leur propre inconséquence ; un enfant se fait de la causalité une idée bien plus vaste. Lorsque le prêtre donna la parole à une vieille dame en robe violette, le petit Tony sentit quelque chose de bizarre au fond de son ventre : la causalité le touche et le somme d'agir. La vieille femme parle vite, très vite, comme si quelqu'un courrait après elle dans sa gorge, comme si les sons de sa voix devaient sortir de sa bouche avant que ne les innonde le flot de ses mots. Là-bas, il y a cette autre femme, vieille au point d'en être morte, dans un cercueil. C'est elle que l'on voit projetée sur les écrans, son image dans toutes sortes de vêtements, avec des cheveux de toutes les couleurs ; elle, toujours la même. Mais d'une identité fantômatique, et ce n'est pas la mort qui a fait vaciller cette identité. Consumée en une rapide succession de simulacres, icône iconoclaste, n'avait-elle pas dilapidé sa capacité de consécution ? Objet d'une séparation, entre l'intention et la portée de ses actes, et où il est si commun de perdre son équilibre, pour verser dans l'excès de matière ou d'esprit, vérités de l'Histoire ou vérité de l'absence de toute vérité, jusqu'à ce qu'elle se fut pulvérisée dans la soude de son intime schisme. Le petit Tony poussa un hurlement. Sa mère le prit dans ses bras et sortit de l'église, afin de ne pas déranger la cérémonie de clôture de l'Occident.

Date: 11.11.2011. Extrait de L'enterrement de Madonna.

Suspendu dans un ciel de bruissants météores, Marc Chagall, se balançant sur un fauteuil à bascule dont les hyperboles ligaturent l’infini, porte à ses lèvres les vapeurs d’une infusion de mûrier blanc. Ses yeux sont ouverts, il nous regarde, monter vers lui, il nous aimante de son front, nous ameute de sa bouche, nous aspire maintenant par-delà ses pupilles d’un noir liquide : et nous voyons des flocons de sang, semés comme au hasard, tomber dans les eaux d’un fleuve rectangulaire qui est bleu, du bleu vif et si pénétrant des faïences de Lisbonne. Un homme fuit le long de ce chemin qui s’enroule vers la campagne ; un gros homme fuit dont on ne perçoit plus déjà qu’une image sur trois, parmi des éclatements, cristallins, qui se déposent au fin fond de la Prusse. Mais c’est lui-même qui coupe sa durée. Dans sa main le rasoir fait délirer l’empire discontinu de la vie, et des corps poussent en corolles à partir des semences sanglantes en contre-champ, cadavres qui vibrent d’or et grésillent : les lignes qui dessinent la forme de leur être débordent comme sur un croquis d’architecte la main est entraînée par l’élan. Coupant, image sur image, il ne reste bientôt plus du gros homme, là-bas, dans sa petite maison de l’autre côté du monde, sur la falaise, face à la mer, qu’un corps étendu ; il se dégage encore par flashs, vieille carte postale dont les couleurs passées nous apprivoisent à son chevet. Chagall boit une autre gorgée à la tasse de notre âme, et dans une chambre bleue sur une table d’opération blanche les yeux du gros homme s’ouvrent, au rez-de-chaussée de l’aurore. Il se lève, ouvre la porte, et tous ensemble nous déferlons sur le monde. L’infini bascule et se dissout, comme dans l’eau chaude un morceau de sucre.

Date: 01.02.2011. Extrait de Une Infusion de mûrier blanc.

dans les librairies il y a tant de nouveautés
même les livres anciens semblent avoir été écrits hier
c’est ce que je dis à mon petit-fils qui a oublié l’histoire des nations
à quoi il me répond, « grand-père,
les mots poussent dans les rizières
infusent dans les théières,
et j’ai déjà oublié
le goût de la dernière gorgée »

Date: 20.08.2010.

prudence de ne pas lire ce qui n’a pas été écrit
audace d’imaginer ce qui aurait pu l’être

Date: 19.08.2010.

L’humain segmente le flux, identifie, qualifie, quantifie, dans son usage de ce qu’il appelle dès lors « ce qui est ». Ceci est ceci, et non cela. Aveugle le plus souvent sur sa propre création, oubliant l’observateur dans l’observation, il fixe le flux et laisse sur son chemin autant d’objets pétrifiés par son regard. Il échafaude et approfondit son statuaire, emboîte les unes dans les autres ces fixations où il tient en réserve autant de réels qu’il lui en faut pour s’assurer du sentiment de sa liberté, et s’établir en société avec ses semblables.

Quelle menace plus grande aux yeux de cet instinct civilisateur que le désir, le désir fluide, le désir de s’unir avec le flux ? Une jeune femme nommée Méduse en fit l’expérience : elle coucha avec le dieu Poséidon, se fit liquide dans l’élément liquide. Mais la déesse Aphrodite, voyant cette union consommée dans un temple qui lui était dédié, saisit ce prétexte pour punir Méduse (la mortelle rendue coupable de la transgression, non le dieu). Elle transforme ses cheveux en serpents (image de la fluidité incontrôlable, donc venimeuse) et la condamne à pétrifier tous les hommes qu’elle regardera, qui la regarderont en retour (le désir de Méduse désigné comme coupable, mais les hommes innocents et même valeureux qui viennent pour décoller sa tête de ses épaules, son visage défiguré devenu le trophée de Persée et exerçant son pouvoir comme symbole et comme ornement sur des boucliers, peintures, sculptures).

Le pouvoir de pétrifier n’appartient donc pas nativement à Méduse, mais à la déesse de l’amour et de la beauté, dont la fonction olympienne est la valorisation des quantités abstraites par le travail humain, ce qui est désirable étant restreint à ce qui a été préalablement identifié.

Ainsi dans le punition de Méduse l’instinct de fixation est-il en excès : il devient absurdement littéral. Là où les humains pétrifient figurativement par la parole et par l’action, la jeune femme devenue monstre arrête le flux et absorbe toute la négativité d’un tel geste. Or c’est par cet excès que se trouve éclairé le fond de cet instinct, à savoir qu’identifier est une volition, et que toute volition naît d’un différentiel de puissances. Voilà précisément ce qu’Aphrodite cherche à cacher. Voilà aussi le pouvoir de l’égide : la tête coupée qui orne l’habit d’Athéna est la peur de l’irrationnel qui, en excès, rend l’instinct de fixation impuissant. Méduse en son désir existe en effet partout où la pierre se fend, partout où le réel considéré comme un entier rationnel se fissure. Les Anciens Grecs avaient les nombres irrationnels en horreur : c’est qu’un tel écart renvoie à une impuissance à rationaliser le monde, à arraisonner les émotions, à modeler la matière. Il y a là un insensé qui fait peur parce qu’il fascine les sens par tout ce qui leur échappe, un impensé qui fait peur parce qu’il obsède l’intelligence par tout l’indéterminé qu’il mobilise. C’est en tant que tel que l’humain cherche à domestiquer le désir, et pour mieux le domestiquer, à l’affaiblir. Rendre sensible l’insensé, pensable l’impensé, à l’aide de toute la panoplie des héros civilisateurs.

Derrière ces figures du pensable et du sensible que sont Thésée ou Caïn, Manu, Romulus ou Robespierre, il y a la domination d’un instinct, il y a l’ordre d’un cosmos accordé à la forme de vie d’une humanité qui transforme le désir en volition, en rabattant l’identité sur elle-même. Mais qu’on les écaille avec un couteau de poissonnier, et voici la chair, la pulpe, toute la matière ordonnée par le mouvement de l’instinct qui se disperse en se mélangeant à tout le reste. Méduse, à ce point de fusion, fluide d’essence, n’est rien du point de vue de l’absolu civilisateur, mais du point de vue du rien elle est au principe de toute volonté, puisque le désir n’est autre que le concept du multiple pur d’où émerge tout différentiel de puissances. Trône du non-absolu ultime, la vertu volitive s’y vit dans une pure absence d’intentionnalité, qui, à notre vue ordinaire, n’est que suggérée par ce que nous appelons le « devenir ».

La conscience y est vide en tant que forme ; et tout passe à travers elle et s’effectue dans le grand dehors de son opération. Face au regard intangible qui garde ce trône, l’être humain soit régresse en-deçà de son bien et de son mal civilisés, meurt, et comme à l’heure de la mort perçoit la grande lumière de ces yeux qui le pétrifient de leur trop de mouvement ; soit il surmonte l’ordinaire mélancolique de sa conscience d’exister, et se joue dans la relativité pure dont il est lui-même le concept.

Date: 03.08.2010. Extrait de Méduse-concept.


oh my god
i'm very afraid
of what i'll discover tonight
about myself

the sirens
are laughing at me
from their holes

the sweet melody
of fee-lings
jumps in my body
and my stomache swings

the waters are gone away
hey hey hey
the sleepers are awakening now
haw haw haw

but the beard of my sky
i----s silent
and the saber of talk
doesn't believe in its own swing
so how
te-ll me
should i comprehend thy----- way ?

love is to be lived
and never never ne----ver
to be thought upon
all these weapons sink
in the heart wide o--pen
translucent and alwa-ys know-ing
that it is but a dream
drea----------m
coming to be real

Date: 26.03.2010.

Tout ceci a néanmoins le mérite de nous permettre à présent de reposer la question à Mathias Clivaz et de voir s'il a quelque chose à dire.

A-t-il quelque chose à dire ?

Mathias Clivaz dit :
QU'EST-CE QU'IL Y A APRÈS LA MORT ?

C'est qu'il a appris il y a deux jours la mort d'un ami, un ami de Madagascar, et qu'il a envie de pleurer celui qu'il aurait aimé revoir.

C'est pour cette raison sans doute que son positionnement est bousculé, et que de nouvelles questions naissent dans sa tête.

Il ne faut pas y répondre et pourtant...

Il faut tenir ce silence. Il faut tenir ce silence.

Faire face dans la nuit dévorante,
passer ses mains sur ses yeux pour éloigner les rêves,
serpenter entre les heures, lorsque la lune n'a pas de forme. Et tenir ce silence.

Il y en a toujours un qui finit par craquer.

Tenir ce silence pour forcer la vie à parler,
devenir-mort, et parler sans en avoir le droit.

Date: 27.11.2011. Extrait d'un mail à Sara.

Une idée c’est comme une toupie : elle tourne si bien qu’à la fin elle s’arrête. La vision la plus claire est au début, dans le lancer ; puis peu à peu la vision s’aplatit. L’idée perd en envergure, en valeur, le charme de son mouvement se dissipe. Elle vire sur ses bords de plus en plus nombreux, sa lenteur lui fait chercher plus d’appuis, qui la limitent, cherchant leur utilité, et son besoin. À la fin, elle s’arrête.

Date: xx.01.2009.

Il est l’aveugle (le destin)
et l’aveugle tient devant lui une lanterne
que tous regardent et suivent des yeux
mais lui ne voit pas où il va.

Date: xx.01.2009.

je fais effort pour exprimer
et non seulement, mais pour former
la vie, aux contre-coups de mes mots
comprenez dès lors, quand la clarté
viendra à manquer
que je ne me joue pas de vous mais
trace une phrase plus longue et qui vient de loin
comme une danseuses qui ne retrouve sa cadence
que rarement développe ses rythmes dans une
extase raréfiée

Date: xx.01.2009.

Contre-fugue. Acte I scène 1.

Terrain imaginaire, plaine rouge de terre-sable, efforts levés, pierres immenses, noyades jaunes, oranges, violacées, éclats de pourpre, ciel inexistant.

Une table de palissandre, ronde, sur pied.

Un homme, cheveux noirs en mèches, peau blanche, complet négligé, veston gris fermé en pointillés, s’approche, s’assied sur la chaise devant la table. Il prend le sachet de sucre et l’ouvre, entamé par chaque geste, son, existant pour nul autre que ces actes dépassés d’eux-mêmes dans le vif du diable. Ses yeux sont des chaloupes dont personne ne se souvient de quel navire détachées. Mise en mer, à vif, et divisée, en dix mille nervures de fleurs, des fleurs d’églantiers, métalliques et douces, salées comme l’écume à qui rien ne résiste.

Verse le sucre dans le cendrier de céramique noire.

Allume une cigarette, boit ce café, cette saveur roule dans la bouche gorge lapidaire nuage condensée de lumière végétale.

Vaisselle rangée avec un soupçon de rage, le bruit de la plonge, des portes, pages de journaux et conversations dans une langue inconnue, mélodieuse.

Bâtisses d’obsidienne étagées de trous sans lumière si ce n’est celle des réverbères sur les surfaces luisantes de pluie.

Le sens de la vie de tous les jours, les genoux tremblants, les moustaches, les seins, les cuisses, les chaussures, par ensembles furtifs de styles empruntés aux milieux environnants et combinés.

Des temples, dieux, démons, gargouilles, concepts, des structures avoisinant l’équilibre et des esthétiques d’ascension, des prothèses, des projections de mort, et l’incroyable d’une extase jaillie de la plus banale répression.

Des soupentes clairsemées noient leurs rivages et je m’entends pleurer devant l’immensité noire, de très loin. L’exercice se clôture et je ploie pour tenir en haleine tous ces chiens effrénés. Le sable vole et picore mes yeux. Où est la vie ? Seul devant ceux d’un inconnu.

Ce que je suis : à l’instant où il me voit me donner.

Date: xx.01.2009.

Suivre une ligne de chant, une figure totémique, un dieu grec, avoir son lot de départ, sa ligne de fuite, son dos de dragon, son jet de lance – en tout ceci l’on retrouve la conviction que le salut se trouve dans le mouvement qui emporte toutes ces fractions infinies vers leur accomplissement immanent, leur « destinée. – Nul besoin de croire que tout est possible : il y a suffisamment d’ouvertures pour qu’un tel bâillement ne soit pas nécessaire. Nul besoin de croire au libre arbitre : le devenir enchaîne les unes aux autres les conditions de possibilités de chaque choix, de chaque plateau. « J’aurais pu faire mieux » : le regret, la culpabilité à reculons, cela n’existe pas sous un tel soleil et lorsque soufflent de tels vents. Nous suivons des chemins terrestres, quoique nous fassions. Et les Hébreux faisaient de même et les premiers chrétiens ; mais chez ceux d’aujourd’hui les voies de Dieu troublent en chacun les éléments et ternissent l’intensité de leurs positions. Comme l’a très bien conceptualisé Deleuze, il s’agit de déterritorialisation. Or notre problème réside dans le fait que les déterritorialisations despotiques, religieuses puis capitalistes ne peuvent être simplement ignorées ; qu’on ne reviendra pas à un « avant ». Le raisonnement précédent nous porte à mettre cela au compte de l’impossible. Nous ne faisons pas partie de ceux qui rêvent à l’effondrement du capitalisme et à l’édification, sur ces ruines ouvertes, d’une société « meilleure » et « plus juste ». Et ce n’est pas du tout là une question métaphysique, mais précisément physique, l’humain se comportant comme un fluide, une matière, et non pas comme une « âme » dans le sens où l’on donnerait à celle-ci la capacité, inimaginable même pour un dieu, de choisir la meilleure des solutions possibles parmi une infinité continue. Les dieux sont des fractions au même titre que tout ce qui est, et ne se rapportant à aucune complétude pré-constituée : son mouvement, c’est sa constitution.

Date: 26.12.2008.

La tristesse, la maladie, donnent un droit à la solitude. Elles ouvrent – et c’est le sens de tout droit, de tout cadre – à la possibilité d’un changement.

Date: 16.12.2008.

À chaque fois que l’on produit une justification pour notre présence et nos actes en un temps et un lieu donné, il semble que nous soyons amené à répéter ces actes selon cette justification. Le droit prend le pas sur le fait. Et ce d’autant plus facilement que cette justification n’a pas rencontré l’opportunité d’être glissée dans l’oreille d’un tiers.

Date: 12.12.2008.

s’amadouer est-ce
se douer d’amour réciproquement ?

Date: 01.05.2008. Extrait de Mozart se baignait.

masque de pierre ou de lune, couvert de givre mon visage s’éclaire de l’intérieur, éclaboussé par une chaleur douce et organique, qui prend sa non-naissance à l’époque de mon ventre, et établit sur la peau de mes joues des empires de végétale incandescence

janvier, le capricorne baisse doucement les cornes de son front, et sur cette révérence s’apprête à laisser le soleil s’échapper de son corps, vivant mimétisme ; on dirait cette fin d’après-midi spécialement apprêtée pour une reine mélancolique ; mais sa mélancolie est joyeuse, elle célèbre la joie qui naît de l’oubli ! l’oubli qui a la netteté des ciels de bise, lorsque les embruns de Saturne calcinent leur durée ; elle est indolente, mais sa vertu, c’est la sensation, l’affût du silence, l’entente sans l’entendement, l’éclosion de la fleur non-possible qui a déjà été, et pour cela se sait être ; les ongles de son esprit, c’est la princesse en elle qui, se levant, en courbe les extrémités vers son propre renouvellement

j’avançais, le pied stable, et des lianes maintenant me transperçaient le sommet du crâne ; je sentais des chatouillements sous mes pommettes, de leurs feuilles souples ; ma gorge s’ouvrait par spasmes mélodiquement étudiés pour rencontrer l’atmosphère et ses nuances ; plus bas, des crabes bleus acier, prunes et turquoises façonnaient mon torse, se déplaçant avec mes inspirations en d’insoupçonnables comètes, cuirassiers au diapason de mon cœur ; mon bassin et mes jambes soutenaient la coupe de ma non-naissance : c’est la terre qui se présente en eux ; sans égard pour les siècles, c’est la foudre qui produit ce lovement de la puissance dans la coupe où nous naissons sans en rendre compte ni à nous ni à quiconque

le soleil blessait le cuir des rennes par lesquels quiconque eut pu prédire les directions de mon pas, s’il avait été aussi rapide qu’un photon lorsqu’il passe de mondes en mondes, attelage à la chute innombrable ; en face de la rue que je descendais, un immeuble bleu d’ombre engouffrait la chaussée comme une plaque tectonique, mais, à peine effleuré l’abîme, une porte ouverte qui se refermait lentement enveloppa l’espace dans un bouton d’hiver ; entre trois voitures le passant inscrit ses lignes de force, déterminantes d’être comme le ruisseau patient sous l’épaisse couche de grès clair

Date: 20.01.2008. Extrait de La Balade de l'épidoptère.

dessus ces yeux verts et écarlates de neige
la fronde de ta bouche tranche et
trace le plan glacé du chiourme
l'horreur de son ventre lacé de métal
où tu répètes l'innocence de ton sein hérétique
de ton sein dément ! calebasse qui meurt
car tu es en lui le sein et le plan tracé du chiourme
le gardien de la tour-mère en pleurs
de la tour-mente des assassins rameurs
et il devient ta chaleur, ta berge, ta face, ta plainte

mais là-bas dans le monde minuscule de mon siècle
j'entends brinquebaler des amas de lucioles
et des oreillers sur mes yeux
endorment les rues peintes :
ce sont les éclats violets des hiérographes
sur la maison de poupées du siècle, et Lodoronia crie
« je resterai éveillée jusqu'aux confins du monde ! »
si c'est cette distance qui me tient éveillée, pense-t-elle
car c'est en elle que je contemple la cire ronde
de la grande conduction : tout s'éloigne
mais moi je deviens plus imperceptible que tout

je suis la pensée voyageuse du temps
les heures s’écoulent sur mes vitres
et je m’écoule dans les distances qu’elles ouvrent
mais le temps n’est pas moi
il est dans le pyjama du doute
comme une timbale rectangulaire de soupirs
et lorsque le choc tend le plan glacé du chiourme
émerge le labyrinthe et le parfum des rododhendrons

le temps est la femme et la femme qui le lui offre
son visage palpitant aux creux des chemins
resserre l’étreinte de l’hirondelle

Date: 07.11.2006. Extrait de Lodoronia.

Je perds des murs
J’invente des escales à la mer qui vrombit
Contre les flancs habités : Chaos
Par mille écores mâche-papier
Me fait signe du pied.

Tel est l’écu de l’homme sans perte
Les cales pleines de circuits imprimés
Dans le bois buvard des digues que la mer mâche
Inventeur d’escales et de lazaréennes festivités !
Mais la justice n’a pas la cote, ni maille ni chiffre
Ni la masse pour s’exercer : sans résistance nulle victoire ;
Le peuple a cessé de se battre pour son rempart.
Encore que la justice n’est pas cet indigo
De la pureté etcetérologique du Ciel
Où être et vérité insatiablement s’empiffrent d’eux-mêmes.
Elle est et n’est pas, tour à tour et en même temps, ronde infinie
Où tout ce qui devient tend à devenir tout.

Quelle importance ? demandent les coquelicots de 1956
Les cintres s’embrassent dans le canal de la soute
L’opium mouche les petits pas des médiseuses
Et le plein emploi est promis aux assassins de la vie.
Quarante années (plus tard), les pleureuses en déroute
Demandent elles-mêmes à être convaincues,
Les yeux de la mauvaise foi pissent sur la balance pour éviter
D’y mettre du poids : petite terre alors, terre de transition.
— Ô cœur écore, centre sans consistance,
Sans que t’emplisse l’ornithorynque intuition
Lorsqu’elle est trop pressée de trouver terre
Ou pas assez : car la justice n’est pas l’avantage
De ceux qui ne dorment que d’un œil
Surveillant le monde, de peur
Qu’il ne disparaisse !

Si tu veux la justice, voici : une seule chose est nécessaire
Crois que ce qui est là continue de vivre tandis que tu regardes ailleurs.

N’oublies pas la syrte passagère ni les lourds immeubles
Ciguë ou fusil, marteleur ou amphore
Des poissons mire l’adorable cambrure
Tandis qu’ils fraient parmi les selles de tes antiques montures.
Et n’oublies pas les ribambelles d’escargots qui te servirent,
Ils vont si lentement sur leurs hélices.
En devenir : pour eux, ce n’est pas le principe qui les mène
(on pensera peut-être sans fin à la vis)
Mais la force vivante, sans commencement :
Le mouvement, ô cœur écore,
Fait pour nous que tout ce qui loin de toi
Se dissout de ta conscience
N’en vit pas moins, est et n’est pas, est et n’est pas, — et —
Je du vers tord le signe de la sentence.

À l’opéra emmenées sont les marivaudeuses et leur scalpels
On y joue ce soir une ode d’opiacées démotiques, ainsi titrée :
« Justice particulière des hommes particulaires ».
La loi nouvelle doit tomber, et Maître crécelle
Jouera de ce pendule comme une antilope dans la vaste Erytrée.

Soudain devenu hache et n’indiquant plus que les directions
Que le cœur suit, aimanté par son loup :
Oublie aussi demain et le présent, ne te souviens de rien
Qu’en couleurs, et baise la terre avant de t’endormir quand sera venue l’heure.

Date: 06.11.2006. Extrait de Lacère les murs de ta faim.

Les titres, ça va, ça vient, Monsieur, jeune homme… Mademoiselle ? Madame ! C’est comme avec les courbettes, on n’en a jamais fait assez. Je devrais dire : c’est comme les vitres, elles ne sont jamais assez profondes, jamais assez moites et légèrement turgescentes comme dans les westerns spaghettis, jamais assez rêches avec ça. C’est qu’il faut des chaussures à scratch, des miroirs à scratch, des vitres qui collent aux baskets, sinon, comment s’enfoncer dans le reflet, comment même s’imaginer qu’il est réel ? Quelle réalité y a-t-il dans le reflet d’une pièce à travers la vitre et le dehors flou du monde alentours ? Est-ce une réalité menteuse ? Mais laquelle ne l’est pas ! Alors non bien sûr ce qui se reflète là n’existe qu’ici, je ne suis pas mon double debout à me contempler depuis l’intérieur du mur. Cela n’empêche : après toutes ces années à passer de mille manières psychologiquement pondérables devant mon miroir, à passer, passer en glissant, avec quelques mots aussi superficiels que mon reflet semblait l’être, à ce moi-même glissant, sur lequel décidément je n’accroche pas — après toutes ces années et les quelques embardées dans le tourbillon qui s’offre au nombril immobile en exaltation, moi dissout dans le mouvement et ce quelque chose de soi qui se sépare, le visage qui se déplace sur les lignes superfétatoires tracées par une vision interne d’autant plus violente qu’elle est plus gratuite, qu’elle a été dressée dans un luxe à l’occidentale — après toutes ces années son cœur n’abrite plus nul démon mais tient libre cet espace incréé. Et pourtant j'en ai bien peur, Mademoiselle, Monsieur Madame, jeune homme, il faudra y repasser, tout recommencer.

Date: 23.10.2006. Extrait de Spéculations in vitro.

Je me demande : ce que peut être la queue d’un faune, de quelles cornes sa tête est-elle ornée, et prolifique, comme au mois de mai font les fleurs dans une génération que rien ne semble avoir interrompu. Cette étrange sensation, que le printemps existe, que non seulement il revient, mais comme s’il n’était jamais parti, et comme si, pris pour lui-même, il était exactement le même que celui de l’année précédente, et ainsi à l’infini, sans régression ni évolution. Je me demande comment il s’ouvre le ventre, comment, les lèvres en feu, il s’élance à travers ce vent trop indécis de l’équinoxe, pour s’enfoncer enfin dans l’ombre liquide de l’été… La planète Terre fait son œuf autour du soleil, un temps s’écoule, les sociétés se lèvent puis périssent, presque dans l’instant. La relative permanence de la nature, pour issue d’une temporalité différente de la nôtre qu’elle soit, nous englobant, peut bien avoir le rire aux dents — ces dents qui nous dévorent après, peut-être, que sa langue nous ait suscités — lorsqu’elle considère à travers ces yeux qui sont les miens, l’œuvre de la vie et de la connaissance humaines. Ce n’est pas qu’elle se moquerait de notre peu d’acuité ou de notre petitesse, mais de cette entreprise même, la connaissance, si présomptueuse comme le disait le jeune Nietzsche, de par elle-même et en regard de sa propre raison. Quelle étrange démon lui l'a donc soufflé dans l’oreille, à cette créature si périlleuse qu’on appelle l’humain , pour que cette dernière se mette en tête de comprendre le monde, quoi qu’il puisse lui en coûter de forces et de vies ? Un démon qui savait ? De quoi il parlait ? Et quoi : était-ce le monde lui-même qui demandait à être connu ? Et même mesuré, pouce par pouce, torturé, pillé, possédé — et si c’était lui, quelle morale y aurait-il à en tirer ? Qu'il n'y en a aucune ? Car — les hommes occupent les trois quarts de leur temps à cette occupation : la morale. Histoire d’avoir un toit, un abri profond, où se reposer, que ce soit là le plus merveilleux et le plus réparateur des sommeils… Et combien d’êtres, épaulés par le démon de la connaissance, n’ont-ils pas secoué leur congénères de questions, et d’affirmations belles, terribles peut-être, afin qu’ils sortent de leur retraite, cette grotte dont leur art a de tout temps su orner les parois, aménager la vie commune, organiser les échanges ; et lesquels de ces êtres, de ceux qui dorment et de ceux qui sont éveillés, la nature porte-t-elle le plus volontiers à sa bouche pour les détruire ? C’est la richesse des printaniers, que de planter plus de graines que le temps ne leur laissera voir éclore.

Date: 19.04.2006.

Le cabaret enfumé bat au rythme de mes cuisses. Une chanteuse japonaise joue du banjo, des voix filmées se répondent en quinconce, les oiseaux regardent par-dessus son épaule. L’épaule de cet homme qui joue au dés, accoudé sur la hanche d’une belle fille, dont les cheveux chuchotent à son oreille en faisant des claquettes. Et tout ce beau monde n’était là que pour une chose, arbitrairement construite, à peine homologable, parce que non encore fixée, une seule chose qui était : arrêter de fumer. Qu’est-ce que cela veut dire ? se demande-t-on. Les vagues se griffent voluptueusement sur le sable, reflux humide, ce mouvement encore mais au ralenti avec, des éclats tirés de cordes vocales, puis la sonnerie d’un four, un nom lâché par mégarde, tombe et se casse, la mélodie qui vrille. La chanteuse reprend le dessus quelques instants, calme, de, ses ondes, amoureuses, un instant puis plus rien. La jungle s’empare de la salle, on crie à l’arrachée, on secoue les tapis, on bat des tripes de porcelaines, des papillons en sortent dont les ailes sont des cymbales aux harmoniques déviantes, et puis encore très lentement, au ralenti, pour que les sons qui viennent frapper le corps il ait le temps de les saisir. C’est lui qui ralentit le temps, créé le temps, dilate, comme fait l’oiseau-mouche. Arrêter ? Je ne veux pas m’arrêter… Je veux… ce que je veux ? Peut-on encore vouloir une fois décollé de l’illusoire concentration ? Il s’agit de santé, Monsieur, pas de philosophie ! Et comment déterminez-vous la santé, dites-moi ? Ah ! ah ! vous la faites sortir de votre trou du cul ! et votre trou du cul porte un chapeau de magicien, ou plutôt c’est votre trou du cul qui est l’abîme de ce chapeau. Je crains que votre santé — ne soit déjà périmée ! Oyez, oyez ! Le roi est mort, il faut tout dire à nouveau. Parce que rien n’est plus pareille ! NON. Je ne veux pas. Y en a marre de parler. Y en a marre d’être lu, entendu et interprété, je ne mettrais plus jamais ma parole sur le marché. Votre dégoût de l’homme vous en empêcherait-il ? Votre dégoût, voilà ce qui fait encore de vous des humains… Quelle sorte de ballet danse-t-on lorsqu’on a une marée de goudron qui vous sort par le trou de la bouche ? C’est à vomir. Non c’est délicieux ! Vous voyez bien pourtant que vous-mêmes vous avez la nausée, et vous dansez mal, le tabac vous fait chier, ça vous dilate l’intestin grêle, vous avez un centre de gravité plus gros que le ciel. Dysfonction, ça fonctionne mal. Capoter, cabosser, carolingiens, cunnilingus, laryngologue, oligarchie, Jim Morrison, baston, bagarre et doryphore, tabacultrice et bac à sable. Je passais alors par plusieurs sas de dégoût, dans lesquels je tournais comme dans une machine à sécher le linge. On n’a pas encore réussi à me laver, mais on me sèche, on me prépare entre les doigts d’un esprit venu tout exprès assister au spectacle de ma perte.

Date: 30.03.2006. Extrait de Le Cabaret du tabac.

La nuit — déjà ? Déjà la nuit, ou déjà : les décorations lumineuses des fêtes de fin d’années, avant-goût, ou arrière-goût déjà pour certains. Un sale arrière-goût ? Saut : la pornographie, ou plutôt : le porno. Plus court, plus vite dit, pour éviter de penser, ironie macabre. Des phrases courtes, qui annulent tout effet de propagation de la lumière par un maximum de réfractions contradictoires, qui gardent une pensée fantastiquement close sur elle-même, ou plutôt dans son même qu’elle n’est pas. Etre par procuration, jeu vidéo, cinéma, roman, voyeurisme. Etre lisse, léché, épilé, épilé le torse, le pubis, lisse, la chair, les lèvres, le clito, les chats siamois, régression en-deçà du peccatum originale, et pas un poil pour se cacher, parce qu’on a rien à cacher, ou parce qu’il n’y a rien à cacher. Ce qu’on craint alors : qu’il n’y ait plus de il y a ? Mais passons, parce qu’il y a aussi la zoophilie, la scatophilie, la pédophilie, qui pressent le regard, sollicitation permanente des publicités, banderoles, affiches, néons, écrans, la rue grouille d’amours contre-nature. Diversions. Passez ! passez ! Une seconde s’il vous plaît : quelle est-elle cette pression, ou plutôt : cette pressurisation ? Car il faut presser l’homme, pour qu’il produise, et s’auto-produise des œillères vitales, mais qui presse l’homme, si ce n’est l’homme lui-même ? Auto-pressurisation, auto-asphyxie, par facilité, déconcertante facilité, parce que chacun est seul maître en son paradis, et que dans le paradis il n’y a pas d’air. Or l’homme ne veut plus respirer. Et donc : auto-exploitation de l’homme par lui-même et recherche de l’économie maximale dans cette exploitation. Corps sans Organe, auto-positionnement des concepts, Deleuze en est malade, il boit et il a raison. C’est la description d’un rapport de force, mais pas n’importe lequel bien sûr : un rapport de force qui fait niveau, de l’alpha à l’oméga et retour, comme sur une piste de ski lissée à mort, où seule la vitesse compte, l’espace, non la durée, la durée faite espace dans un agenda, programme de cinéma, descriptifs des cours, calendrier politique. Alors faites des listes, condensez les espaces, éclatez la durée verbale, faites pression, pression, dans une pareille entropie il y a beaucoup de trous noirs qui attendent encore ainsi de naître de nos mains. Mais trou noir ? L’espace lisse absolu, la disponibilité à toutes les obscènes sollicitations qui pourront ultérieurement avoir lieu dit Artaud. Et par là, perpétuation de l’humanité réactive, montée en abîme de la volonté de néant, qui ne cherche que sa propre réactivité, le frottement, dynamo de l’être qui clignote, la petite la mort de l’orgasme commensurable. Matière première d’un raffinement du type. Et on s’y prête à cette mascarade, par optimisme, confiance dans l’homme, ou désespérance de soi, manière de renier sa force, d’avoir la foi. Il paraît que les « gens » aiment bien les publicités dans la rue, aiment bien les décorations de Noël : à croire que l’homme s’est inventé l’esprit électrique parce qu’il avait encore peur du noir ? Peur de ne pas avoir l’esprit occupé, bouché, comprimé, pilé, mais illuminé aussi d’un maximum de candeur, ou d’un maximum de savoir rationnellement classifié et raisonnablement pratiqué, au choix. Etre lisse. Sans brèche, sans inconsistance. Et la vie surgit-elle encore, fait-elle brèche qu’alors, mais alors ingestion rapide et technologique, parole de technique et non bien sûr sur la technique, omnidomination du sujet positif, utilitariste, pour rendre lisse, utilisable, informatique, reproductible, sans répétition, à l’infini. Insupportables virgules. Vous voulez avoir raison ? Vous avez raison. Pourquoi n’auriez-vous pas un peu raison ? Parce qu’il n’y a pas de vérité ? Il n’y a pas de vérité. La vérité ne sert qu’à exprimer des erreurs. Vous voulez lire plus vite ? Allez-y. Crevez. Point.

Date: 02.11.2005. Extrait de La Grande prostituée.

On voit des pieds nus et poilus de poils noirs s’avancer sur un ponton : le bois est strié dans la longueur de veines usées, le sel et le passage de pieds nombreux l’ont rendu lisse, presque doux. Sa couleur est celle du chêne clair. Une eau roule les lents reflets de l’aube entre ses planches nouées, et une feinte lumière bleue coule du ciel sur le bois, enveloppant les deux pieds qui s’avancent. On voit frémir les muscles au-dessus de la cheville, les plantes des pieds s’arquent légèrement. Les pieds appartiennent à des bras, à une poitrine d’homme qui s’incline, portant de plein torse un écran de télévision, qu’il descend lentement vers l’onde. Il dépose sa charge dans l’eau, et la lâche. La télévision, après un instant, s’enfonce dans les eaux : on voit des bulles d’air qui remontent à la surface.

Date: xx.08.2005. Extrait de Expérimentations.

Rester couché des heures durant, sur un lit, sur le sol, à écouter de la musique. Sentir passer la vie en son corps étendu à des environnements de plus en plus lointains, le lit, le sol, mais aussi l’air, l’imagination. Les pensées passent comme des étoiles filantes, douces, sans impératif, sans urgence ; une luciole fait de temps en temps cligner de l'oeil ; une onde plus sensible touche soudain le ventre, ou le cœur ; musique… Drogue douce, voler comme un serpent à plume sur les sinuosités d’une voix dont on ne comprend pas les paroles, d’une mélodie dont on se laisse prendre la forme. Se mettre en quarantaine avec Lou Reed, glisser sur les accords de piano comme sur une peau de banane, un sérum de vérité, un vaccin contre toutes les intentions dont les strates de la vie quotidienne nous torturent. Oublier le temps, oublier ce temps que jugule la vie organisée, oublier à la faveur du mouvement, se laisser sortir de la cosse-fermeture-éclair du présent, et voguer plein sud sur une mer infinie. Courir dans des tunnels sans fin. Absorber des champignons qui chantent.

Date: xx.08.2005. Extrait de Expérimentations.

Se promener, se balader au hasard des rues, avec rien en tête qu’un souffle fictif.

Premier essai : regarder les passants, croiser leurs yeux, appeler leur regard, les fixer en les défixant, c’est-à-dire sans les voir dans leur appareil stratifié, seulement dans leur lieu de saut. Faire vibrer son propre regard et ex-stasier l’œil droit-définissant dans une ligne de fuite infinie. Seconde étape, cesser de chercher, se laisser trouver et répondre à chaque regard, soit en faisant miroir, du même au même ou à l’opposé, soit en prenant des postures bizarres, qui décadrent avec toute attitude en rapport avec le regard reçu.

Second essai : s’asseoir sur un banc, par terre, sur des escaliers, dans un lieu de grand passage, de manière à être vu sans paraître forcément complètement incongru. Fermer les yeux. Se concentrer au point de se répandre dans l’air alentour, former un nuage de minuscules cristaux, mats et sans accrocs, sensibles de chaque pore. Puis sentir chaque regard qui se pose sur cet œuf de brume lumineuse, chaque tentacule qui se pose, cherche, repart. Ne laisser entrer personne, mais n’envoyer aucun contre-signal, aucun répulsif (à moins de sentir un danger à propos duquel il faut impérativement agir).

Date: xx.08.2005. Extrait de Expérimentations.

Mes volets battent comme par grand vent, les céramiques se taisent et mon coeur en colère se coupe les pieds sur la place publique.

Date: 14.07.2005. Extrait de Les sexes nodulaires.

De minuscules points de passage qui sentent la nuit

Point de fuite = comète

Signaux de fumée

Faire attention à chaque bruit

Ne pas bouleverser l’ordre des choses pour un rien

De la verge au plastron, de là à la terre, de là au ciel

Date: xx.06.2005. Extrait de T.

Preuve de la décadence dans l’emploi de la langue : les synonymes ont considérablement augmenté. On utilise les mots comme se valant les uns les autres, mais — aucun mot ne vaut aucun autre ! Peu à peu, on apprend les nuances, les styles, les tons, les jeux de calques. Et cependant c’est également toujours un ré-apprentissage, parce que les niveaux de la langue, ces plateaux hiérarchiques, tournent, s’inversent, se modifient, parce qu’il n’y a jamais, dans toute l’histoire du temps (et je ne parle pas d’éternité), jamais deux fois la possibilité qu’une même organisation se reproduise à l’identique. Si cette possibilité existait, elle se reproduirait — reproduirait toutes choses à l’infini (et je parle d’éternité).

Date: xx.06.2005. Extrait de T.

Qu’est pour nous l’inorganique ? Il est peut-être une distance. Un au-dehors du monde à l’intérieur même de celui-ci. Je ne parle pas seulement d’une possibilité d’évasion, de diversion, mais d’une extériorité pleine de prescience quant au monde organique. Ce n’est pas la machine qui est inorganique : la machine est organique, hiérarchisée, capable de croissance si elle est programmée ainsi (mais est-ce une croissance uniquement quantitative puisqu’elle est programmée et produite, qu’elle est une image figée, un soi-même, de ses créateurs ? Prométhée toujours en retard sur son temps… ?) — Qu’est-ce alors que l’inorganique ?

Date: xx.06.2005. Extrait de T.

Et T passe au travers de lieux gigantesques, des champs disposés en carrés ou en cônes, déclinant des feuillets de leurs âmes en des bandes coupantes comme des rasoirs, des bandes de corps, des morceaux de bras, un œil ici, là autre chose qui le touche mais qu’il ne reconnaît pas, sur laquelle il n’arrive pas à mettre de nom, car il ne pense plus par nom mais par sensations infuses. Il parle avec des organes, avec une joue, une gorge, une palpitation, jamais avec un système d’organes, il n’interprète pas celui qui est en face de lui comme un autre lui-même un peu déformé, il l’entreprend comme une multiplicité d’éléments qu’il regarde passer, sent passer, éprouve, et il y a des tentacules qui sortent de son corps, qui balayent une rue, filent entre les corps qui se déplacent, les chiens qui se déplacent, les pavés et les lampadaires qui se déplacent, les bouts d’affiches, les chewing-gum sur le bitume, les sexes qui s’embrassent, il y a des oiseaux blancs et bleus sur le corps de T qui balancent des ailes de cerf-volant et un gyroscope à mille terminaisons qui déchiffre des cartes selon une trop grande quantité de signes pour qu’ils puissent être nommés à mesure qu’ils se font signes, et apparaissent, et se font jour sur son corps d’une multiplicité de corps qui font l’amour.

Date: xx.06.2005. Extrait de T.

Qu’est ce que la résonance ? Quelque chose se passe, un événement, quelque chose qui est intense, pas en intension, non… quelque chose de puissant, quelque chose qui parle, qui a une voix, une de ces voix qui percent la trame du calque majeur, qui se détache sur le fond plus indistinct des tensions, une voix, qui vainc la tension, la dépasse, bondit vers ce qui est plus que lui-même, plus que le sentiment de la puissance, qui est puissance, la toujours-entrain-de-devenir-acte, elle voit le tourbillon de l’universel — si elle est assez forte, elle parvient à en traverser les cercles, jusqu’à ce qu’elle arrive au centre du tourbillon — et si elle y parvient, cette voix va entrer en résonance avec le monde entier, elle va agir comme une catalyse de sens, en absorbant/transformant/produisant, dans une sorte de théologie instable, discours d’où naîtront des figures d’appel, comme des signaux, ou comme des balises lumineuses sur la mer obscure qui guideraient les cohortes d’embarcation et d’îles humaines à travers les couloirs d’un vivant labyrinthe — non pas un assemblage de haies toujours semblable à lui-même, mais un chaos de mouvements, dans lequel les espaces se compressent ou même disparaissent, dans lequel le chemin subit des distorsions si extraordinaires qu’il semble impossible qu’un quelconque fil rouge ait pu y résister.

Date: 24.06.2005. Extrait de Le Creuseur de lune.

Je regarde sans le voir cet écran que de longtemps on a appelé le diaphane. Des lettres de feu s’écrivent sur ces veines infinies, des passions, combattant sans fin, luisent dans des bains de sel et de sulfure, où la vue profonde trouve son chemin.

Date: 03.06.2005. Extrait de Note sur l'adversaire.

Mettre un terme à toute prétention d’être dieu, et donc mettre un terme à l’idée de Dieu qui justifie dans l’esprit de milliards d’individus le fait d’être gouvernés et pillés de leurs possibles en toute impunité.

Les vautours se nourrissent grâce au peu de vigilance des peuples nourris à l’optimisme catégorique.

Date: xx.05.2005. Extrait de Mettre un terme à toute prétention d'être dieu.

J’ai parcouru tant de fois cette étendue, sans jamais parvenir à la certitude que je ne tournais pas en rond, que je n’étais pas fait sphérique de par ces mêmes pérégrinations. Qu’y a-t-il au-delà ? Mais c’est si peu une question. De tous les couchers de soleil que j’ai vu, de tous ces moments où le crépuscule fixe sur nos yeux la réalité d’une terre, aussitôt reprise dans le ventre de la nuit, je ne retiens que cette énigme du soleil qui se lève de l’autre côté, l’énigme de la sphère et de l’humain. Comme les feuilles des arbres au premier printemps, transparentes à force de naître, ou comme le tout jeune enfant dont le crâne est encore mou, je suis, prêt à être emporté par une giboulée tardive, frêle en cette énigme que je vis à nouveau et pour la première fois.

Date: xx.05.2005. Extrait de Mettre un terme à toute prétention d'être dieu.

Sous mes yeux l’océan en guerre, comme si le ténébreux avait enlevé aux flots le don de la douce floraison. Ils n’éclosent maintenant que comme des bombes.

Date: xx.05.2005. Extrait de Mettre un terme à toute prétention d'être dieu.

Tout ceci s’est déroulé en négatif à travers mes astres de papier, et lorsque j’ai vu le film de mes pensées prendre feu, j’ai compris l’immensité que voilaient mes esquisses.

Date: xx.05.2005. Extrait de Mettre un terme à toute prétention d'être dieu.

Mais que signifie rejoindre l’intérieur de l’extérieur ? Que la subjectivité se retourne et au lieu d’être réceptrice devient émettrice, projectrice d’intensités. La subjectivité traitée par la subjectivité s’annule et se déploie : la représentation cesse, la présence traverse l’absence et se donne entière à son œuvre (pas de réflexion : tout se fait dans une seule lancée, comme le bras du semeur s’allonge et lance un vent de graines sur la terre qui souffle dans sa main).

Date: 08.05.2005. Extrait de Icare.

Icare c’est toute l’horreur des diables en boîtes, des séries de films passés au ralenti sur lesquels on verrait toute l’étendue de son bonheur, et ce bombardement doux d’images engendrerait sa mort, lovée, et repue, mais encore à même d’enchâsser le pas au soleil, dans une course de cascades créatrices.

Date: 08.05.2005. Extrait de Icare.

Quelle idée biaisée que celle qui définit l’univers comme une somme fixe de forces, toujours égale en actifs et passifs — une idée de comptable ! Et celle qui définit l'être par l'unité : l'être n'est "un" qu'alors qu'artificiellement tronqué par qui le compte !

Date: 17.04.2005. Extrait de Orient/Occident.

Sa cuisse sort de l’eau, chair radieuse, endormie
Dans la pulsation d’aigue-marine de ses songes

Qui ne formerait à cette vue le désir, même pudique
d’être entraîné dans ce jeu de vibrations
où toutes choses parlent leur langage propre
où elles tissent au travers des générations et des hasards
cette trame de voix qui se comprennent infiniment ?

C’est un désir de contact, et c’est aussi un non-désir
Puisque que ce qu’il désire il l’est déjà, mais l’ignore.

Date: 02.04.2005. Extrait de La Cuisse des éléments.

Les poètes ne sont pas des inspirés mais des inspirants, voire de véritables aspirateurs.

Date: 19.03.2005. Extrait de La différence.

Ce vieux Pan, que le temps a failli pour une sanglante cause, m’a rendu visite en noumène et il m’a serti de joyeuseté dans le poids de sept planètes :

1° Quand à l’aurore noctambule le charme aura brisé son étau, l’or noir reverdira sur les côtes assassinées de l’Orcade, et le sirottement des lucioles atteindra un rythme vertigineux au son des fifres faunes de nos larmes.

2° La grande passoire stellaire qui a mangé aux pâturages humains parviendra à l’éclosion suivante de son être.

3° La mer se soulèvera jusqu’à toucher le ciel, et le ciel plongera sa couronne noire dans l’incroyable éclat du bouton terrestre.

4° Car enfin il faut comprendre que là-haut bien sûr il n’y avait plus rien à boire

5° Et même si on avait voulu, on aurait pas pu !

6° Tous les hommes parviendront à l’illumination et la race humaine disparaîtra de la terre et le vent de Gengis Khan sur les parois de l’Etna seront comme le pollen qui vole mais ne se fixe nulle part.

7° Tout réunir ; puis séparer, à nouveau.

Le gredin partit aussitôt me laissant patauger dans les planètes, mais il était midi sans que le soir soit à sa perte et le silence me fit peur.

Date: ??.??.2003.

qu’est-ce que l’ego ?
c’est un miroir.
à quoi sert un miroir ?
à se regarder l’ego.
à quoi sert l’ego ?
à briser le miroir.
pourquoi sept ans de malheur ?
pour apprendre à voler.

Date: 11.09.2003. Extrait de Les Architectures vibratoires.

Un livre tombe d’une étagère.

— Mais cela n’a rien d’étonnant, cela arrive sans cesse!

Bien, admettons, mais cela ne m’aide pas à comprendre ce que je cherche à comprendre. Et ce que je cherche à comprendre c’est comment accepter mon animalité.

Entendant cela, le livre s’ouvre n’importe où, et dans un fumet de verbiages ânonnants mais pleins je vois Plotin jaillir de là comme un diable en boîte, il me dit :

— L’être intelligible est immanent au sensible mais ne lui demeure pas moins transcendant.

Sur le plafond il y a aussi les philosophes en fourmis rouges qui courent à toute allure, et je crois qu’ils sont tous sortis d’une vieille boîte à chaussure que j’aurais dû jeter depuis longtemps, mais on me dit aussi qu’il est trop tard pour les remords. Et des chaînes perpendiculaires à moi qui font un plan qu’il s’agit encore une fois de renverser, et pour cela de faire de mon corps un point suspendu qui est un pont, etc.

Plotin croit que je ne l’ai pas entendu et me répète :

— L’être intelligible est...

— Oui ! assez, assez ! j’ai entendu !

— Mais avez-vous conscience que votre animalité est régie par les mêmes règles que votre pensée ?

Et il y a un grand fracas d’os et de plâtre, et je vois un trou noir dans le mur en face et Nietzsche en sortir sur un chariot avec des ailes et le chant des Walkyries qu’il essaye d’émasculer avec son marteau tandis qu’il me crie:

— Je vous aime !

Il retombe dans son trou. Et ce trou pulvérisé en fine poussière s’engouffre dans mes narines, ce qui me fait voir de drôles de couleurs et des chimères charnelles, et derrière tout ça il y a William Blake qui va et vient sur une balançoire d'airelle :

— Le Bien est le passif subordonné à la raison. Le Mal est l’actif naissant de l’Énergie. (grincement) L’Énergie est seule vie, et elle est du Corps, et la Raison est la limite ou la circonférence qui entoure l’Énergie. (grincement de nouveau) L’Énergie est Délice éternel.

Et Nietzsche qui tente de refaire son trou et de passer outre essaye de revenir, et je vois Plotin qui tire des hirondelles et aussi Raspoutine et Eliphas Lévi qui me menacent...

— Ah ! la barbe à la fin ! je leur dis, bande d’analgésiques ! poussez-vous : vous m’empêchez de voir la vie.

Et bien que leurs raisons diffèrent je les secoue tous dans le même sac poubelle et les jette par la fenêtre.

Date: 11.09.2003. Extrait de Les Architectures vibratoires.

(Le non-être est luxuriant.)

Une sphère bleue, de ce bleu de flamme où se produisent toutes sortes d’explosions laiteuses et froides, capitonnées comme les murs de ma chambre.

Des ressors de lièges, blottis contre ces arcs électriques, lui donnent son répondant, sa signature de mouvement qui n’en a rien à foutre de la continuité ou de la discontinuité de la pensée, mais qui à coup certain souffre de cet état des choses impromptu et trop ancien.

Une sphère qui est mon ventre, qui est mon centre de neige violente et volontaire.

Date: 11.09.2003. Extrait de Les Architectures vibratoires.

Trois cigarettes disposées en strate, dont la dernière est seule fumée, et la médiane affective et désirante dans son corps de femme ; une paire d’ailes accrochée à des sandales ; impérissable, un cœur qui s’éveille. Au-delà le ressentir de la pointe d’une flèche, vrombissant oiseau de feu aimanté vers le bas ; une âme très blanche ; puis la balance cosmique, riant de sa rigueur, de sa force, dépassée par le jeu d’indéterminations des constellations invisibles ; et des enfants, des myriades d’enfants sublimés dans la danse qui glorifient la vie, libérés et riants, tel un souffle traversant les feuilles devenues créatrices du grand arbre au centre du vent ; au-delà encore, au-delà...

Date: 11.09.2003. Extrait de Les Architectures vibratoires.

Pourquoi ?
Parce que tu penses que la réponse est différente de toi.

Date: 11.09.2003. Extrait de Les Architectures vibratoires.

Et tout ça dans un silence de noyade.

Sous la coupole sombre des astralités où des masses plénipotentiaires en plaques d’institutions publiques, de mœurs oppressantes, filent la glue de leur innommable nourriture.

Jetant leur feu mauvais qui pullule dans le ciel avachi de l’ombre en suivant les insanes circonvolutions d’un carrousel taré — des carcasses vides, et avançant sur des moignons dans la rue des grands trous, et où l’on creuse des tombes pour la vie —, une faiblesse qui dégouline, laissant là sévir l’écœurante effusion de sperme noir, lors de ce viol interne, de cette interne succion du sperme vide, et qui veut attirer toutes choses vers ce vide, comme il l’est lui : VIDE.

L’éternité moins une seconde c’est le suicide.

Date: 31.08.2003. Extrait de Fragments du maléficié.

Et on essaye encore de me faire croire que j’ai peur, alors que je sais très bien que la peur ne vient pas de moi, mais de tout ce qui a intérêt à ce que j’aie peur.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Que quoique je puisse dire, ou veuille dire, exprimer, je ne pourrais toujours que mentir, car personne n’est encore prêt à entendre la vérité, et à SUPPRIMER les mots.

Date: 31.08.2003. Extrait de Fragments du maléficié.

Là où quelque chose monte, s’élève dans ce vagissement inversé des forces, où quelque chose flotte sur une couche d’interstitiels accouchements de fleuves, à cet endroit précis où l’être cherche à percer, pour dominer ce qu’il n’est pas, là se trouvent les pires charognards de l’être :

ceux qui pensent comme des éponges gonflées de mauvais sang, ceux qui se taillent des parts dans l’âme, ceux qui s’aménagent des lieux dans l’âme pour assurer la survie de leur ignominie

(mais qui ne connaissent ni la perte ni cet autre infini qu’est l’infini des survies),

ceux qui passent d’un lieu dans l’âme à un autre qu’ils dépècent de la même manière, c’est-à-dire avec ce verbe poisseux, ces instruments de torture, cette trop éclairante volonté de fixation des choses (je veux dire de cette lumière fausse puisque sans racines),

ceux-là sont les pires charognards et de grands assécheurs de l’âme.

Et ce que je leur dis, moi, à ces gens-là, c’est de continuer juste comme ils le font et de se jeter eux-mêmes dans le cancer de leur dévorante subjectivité, et qu’ainsi je ne les entende plus geindre à l’intérieur de mon crâne qui est une caisse de résonance passablement brutale.

Je marche avec les migrations de l’eau qui se retire.

Date: 31.08.2003. Extrait de Fragments du maléficié.

Vous n’avez rien su sentir du vent de désastre qui minait ma conscience à cette seule pensée que je pouvais ne pas exister.

Et non, cela n’a rien de rassurant. De se retrouver comme nez à nez avec ce monde dont on nous avait voilé le vide effrayant, et d’être aspiré dans ce tremblement généralisé des sphères, sans plus aucun contrôle ; ce VIDE glissant, où tout le réel sédentarisé se disloque, démembre mes corps dans le chaos bruissant d’un brouillard enténébré où le danger, bien réel, est de voir s’éteindre cette étincelle. Quitte de mort.

Je ne connais pas grand chose aux sciences de la psyché, mais je crois que cette énergie sexuelle à laquelle vous tenez tant se répercute sur des plans bien différents de celui de la matière lourde, du mental noircis cycliquement et même de l’âme, et qui sont habités de forces autrement plus impitoyables que les floculations répétitives, dont le festin est fait de notre humanité de primaires et de malades.

C’est coupé le serpent dans son élévation et dans ses origines, que de le cantonner à certains niveaux de l’être, strangulation du sexe auquel la modernité prend encore aujourd’hui un plaisir proportionné à sa vieillesse et à son ignorance.

Et c’est justement dans cet arrachement à la matrice ancienne, où, les pieds cassés, il faut cependant être assez fort en soi-même pour n’être nulle part tenté de prendre appuis,

dans cette extirpation que se trouve le point de rupture entre terre et ciel dont je vous ai parlé, ce point qui appelle au saut, et au dépassement de soi.

Mais cela, vous ne l’avez pas compris.

— Cela fera 159.90 Fr., s’il vous plaît.

Date: 31.08.2003. Extrait de Fragments du maléficié.

Il y a des interstices entre les mailles de l’être qui sont des trous immenses que rien ne prépare à franchir. Leur ressentir, d’où est absent toute volupté comme dans un corps de cris d’os, est tel que tout l’espace s’y confine en un seul point de sauvage présomption pour m’écraser, et le temps distendu jusqu’à faire éclater les coutures de ma chair mentale me perd dans un néant où je ne suis plus. C’est un cri qui déborde de moi pour se libérer.

Date: 31.08.2003. Extrait de Fragments du maléficié.

Je vous écris avant qu’il ne soit trop tard, et il sera trop tard d’ici à la prochaine lune, bien que les astrologues ne sachent plus lire et que ce monde se suffise à lui-même mais, justement, moi aussi. Georges W. Bush est la marionnette de forces occultes, ces forces qui explosent un peu partout à l’heure actuelle et qui veulent jeter ce monde dans le vide, et elles le font car elles ont peur de la nouvelle vague qui se lève et qui menace de mettre fin à leur règne de domination des esprits. Mais ceci personne n’en a conscience, et cela doit changer. Comment ?

1° l’homme doit cesser d’être un opossum barbu et un topinambour borgne

2° il doit apprendre que pour élever ses branches dans le ciel, ses racines doivent plonger d’autant dans les profondeurs de la terre

3° l’homme doit se décider à chasser la religion et les prêtres de toutes confessions, car leur règne est achevé, et cependant ils envoûtent encore le monde d’influences torpides et négatives

4° et ceci parce qu’il doit comprendre que le seul prophète qui viendra, viendra en chacun, selon une évolution spirituelle globale, et c’est à ceci que sert la mondialisation, à créer une communauté d’esprit, et non à assouvir les tares de quelques capitalistes rapetisseurs d’infinis

5° et que pour gagner sur lui-même, sur tous ces moi moi moi d’envieuse furie coupée de la terre, il faut à l’homme reconnaître le vide, le vide qui est en lui-même et dans le monde

6° et tout ça doit commencer en l’homme par une prise de conscience, que tout devenir est à lui inhérent, et qu’il doit se maintenir dans la conscience d’abord, c’est-à-dire assumer son être et ses choix

Ceci dit, et s’ils sont trop bien dans leur soupe, que leur loi les assomme et qu’ils rentrent sous terre. La guerre arrive.

Date: 10.02.2003. Extrait de Le Laboratoire du ciel.